Belgique

Caroline Sägesser (Crisp) : « En proposant l’interdiction des vols de nuit, Écolo s’inscrit dans une campagne électorale déjà lancée »

Alors, comment décoder cette séquence ? Un simple « coup » médiatique d’Écolo ? “Quand Georges Gilkinet a pris la compétence Mobilité en 2020, on s’est dit que cela pourrait causer beaucoup de tension dans le gouvernement, analyse Caroline Sägesser, chercheuse au Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Mais il avait annoncé lui-même qu’il mettait ce dossier de côté pour se concentrer sur la SNCB et le chemin de fer. Il avait simplement mis en place un forum de discussions avec les riverains, les Régions, les communes. Et voilà qu’il se souvient de ce dossier ou, plutôt, qu’il rappelle ce dossier aux électeurs d’Écolo. Car la défense des riverains et la limitation des nuisances sonores des avions font partie de l’ADN du parti depuis plusieurs générations. Même s’il n’y a pas d’accord au sein de la Vivaldi, c’est de bonne guerre de faire comprendre aux sympathisants écologistes et aux riverains qu’il a tout de même essayé de faire bouger les choses.”

guillement

La défense des riverains et la limitation des nuisances sonores des avions font partie de l’ADN du parti depuis plusieurs générations.« 

À moins d’un an des élections, les écologistes, souvent pris à contre-pied au sein du gouvernement fédéral, doivent en revenir à leurs fondamentaux. “Sur le nucléaire et sur le pacifisme, les écolos ont renoncé sous cette législature à des orientations fondamentales pour eux. S’il n’y avait pas eu à l’égard des nuisances sonores une activité visible de Georges Gilkinet, les militants et sympathisants écolos le lui auraient reproché », affirme-t-elle.

Le piège de la Vivaldi se referme sur Écolo et Groen. Notre analyse.

« Le problème des vols de nuit est réel »

Caroline Sägesser nuance cette vision purement “politicienne” de l’annonce du cabinet Gilkinet. “Le problème des vols de nuit est réel. Rien n’a été résolu. Au contraire, des décisions de justice ont contraint le fédéral à payer des astreintes. Mais, dans cette Vivaldi qui peine déjà à trouver des accords dans des dossiers moins épineux, il y a extrêmement peu de chance que les partenaires de majorité se mettent d’accord sur la limitation du nombre de mouvements ou sur le bruit lié aux vols de nuit. Autant un accord est nécessaire, autant il est peu probable… Même si de plus en plus d’aéroports restreignent les activités de nuit. Ce qui pouvait paraître utopique devient moins extravagant. Le contexte a beaucoup changé depuis les premiers combats des écolos sur cette question.”

Pour cette observatrice de la politique belge, la manière dont la question a soudainement été jetée sur la table du gouvernement De Croo peut interpeller. “Georges Gilkinet a soumis son projet au kern tout en l’annonçant dans la presse. C’est un peu problématique, mais c’est l’apanage de cette Vivaldi de faire des sorties médiatiques quand on suppose qu’on n’arrivera pas à dégager un accord politique. Écolo ne fait rien d’autre que ce que d’autres ministres ont fait avant lui. Écolo s’inscrit dans la dynamique d’une campagne électorale déjà lancée.”

-
Caroline Sägesser, chercheuse au Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). ©Caroline Sägesser
guillement

La question des vols de nuit illustre aussi la complexité de notre système fédéral. »

Un lien avec…. la météo

Selon la chercheuse du Crisp, le moment choisi par Georges Gilkinet pour réclamer l’interdiction des vols de nuit à Zaventem peut avoir un lien avec… la météo. “Le cabinet Gilkinet a reçu beaucoup de plaintes ces dernières semaines. Ce phénomène est bien documenté. C’est en été que les riverains se plaignent car c’est la saison des barbecues dans les jardins, c’est en été que l’on dort la fenêtre ouverte et que les avions réveillent les gens. À cela s’ajoute le besoin de concentration des étudiants pour les examens… Le nombre de plaintes explose quand il fait chaud pour ces raisons. Or, il a fait très chaud ces dernières semaines. Cela peut avoir exercé une pression supplémentaire sur le cabinet Gilkinet ».

Gilkinet veut également une interdiction totale des vols intérieurs en Belgique.

Comment expliquer que la question des vols de nuit et des nuisances sonores n’ait pu trouver de solution ? Tous les ingrédients sont réunis dans ce dossier pour cristalliser les oppositions. “Il y a, d’un côté, des intérêts économiques et, de l’autre côté, des intérêts environnementaux et la protection des consommateurs. Les citoyens sont eux-mêmes écartelés entre deux fonctions. Comme travailleurs et comme voyageurs, ils bénéficient de l’activité économique et des services offerts par l’aéroport. Mais comme riverains, ils se plaignent car ils voudraient pouvoir dormir tranquillement. La question des vols de nuit illustre aussi la complexité de notre système fédéral : le fait d’avoir transféré l’ensemble des compétences environnementales et des normes de bruit aux Régions sans supervision fédérale est problématique.”