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«Il y a une tendance à croire qu’on peut faire des choses hors de portée»

Selon Fabrizio Carboni, directeur régional du CICR pour le Moyen-Orient, c’est la capacité du CICR à établir des «relations de confiance» avec toutes les parties aux conflits armés qui lui permet de faciliter des libérations d’otages. swissinfo.ch

Le CICR facilite la libération des otages israéliens détenus à Gaza, une opération délicate rendue possible par sa neutralité. Son travail est parfois incompris, estime Fabrizio Carboni, directeur pour le Proche-Orient.

Ce contenu a été publié le 29 novembre 2023 – 17:00



podcast Inside GenevaLien externe (en anglais) le 9 janvier.

L’accès aux otages

Ces dernières semaines, le CICR a essuyé des critiques, notamment de la part du ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, qui a déclaré que l’organisation n’avait «aucun droit d’exister» si elle ne rencontrait pas les otages israéliens détenus dans la bande de Gaza. Les Conventions de Genève confèrent au CICR un mandat spécial pour la visite des prisonniers de guerre, pour vérifier leur état de santé et transmettre des messages à leurs proches. Mais ces visites ne peuvent se faire qu’avec l’accord des autorités concernées.

«Les gens ont tendance à croire qu’on peut faire des choses hors de portée. Nous n’avons pas d’armée. Nous n’avons pas d’armes. Nous n’avons pas un poids politique qui pourrait obliger les parties à faire ce qu’elles ne veulent pas faire», explique Fabrizio Carboni.

Le CICR a appelé à plusieurs reprises à la libération des otages. Il a aussi demandé à rendre visite à toutes les personnes détenues, mais cet accès est particulièrement difficile à obtenir. Si les lieux de détention sont généralement éloignés des lignes de front, à Gaza, les otages se trouvent au milieu d’une zone devenue champ de bataille. «Premièrement, les parties ne veulent pas nous donner accès. Deuxièmement, il y a un risque pour la sécurité», résume le responsable.

Hôpitaux et droit international humanitaire

La guerre a eu un impact terrible sur le système de santé de Gaza. Selon l’Organisation mondiale de la santé, près des trois quarts des hôpitaux de la bande (26 sur 36) ont fermé leurs portes en raison des dommages causés par les combats ou du manque de carburant. L’armée israélienne a récemment effectué un raid sur l’hôpital Al-Shifa, le plus grand de Gaza. Selon elle, le Hamas aurait utilisé des tunnels situés sous l’établissement pour se cacher et stocker des armes.

Fabrizio Carboni ne se prononce pas sur la question de savoir si des hôpitaux ont été utilisés comme bases militaires. «Ce que je peux garantir, c’est que dans le cadre de notre dialogue confidentiel avec toutes les parties, nous avons été clairs sur ce que nous savons et ce qu’elles doivent faire», déclare-t-il.

En vertu du droit international humanitaire, les hôpitaux doivent être protégés, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas être pris pour cible ni utilisés à des fins militaires. S’ils perdent leur protection parce que des soldats les utilisent, la force doit être utilisée avec précaution et proportionnalité.

Une trêve, et ensuite?

La trêve en cours a permis une hausse de l’aide humanitaire entrant dans la bande de Gaza. Sa prolongation, décidée lundi, est une «bonne nouvelle», estime Fabrizio Carboni, car elle permet aux civils de trouver un peu de répit, la distribution d’aide et la libération d’otages et de prisonniers. Mais elle est aussi «empreinte d’amertume», car elle soulève la question de «ce qui se passera après. […] Les acteurs humanitaires n’ont pas de solution à cette crise, car la solution est politique».

«Si l’on ne s’attaque pas aux causes profondes de la violence, elle se reproduira», ajoute le cadre du CICR. Selon lui, des décennies d’expérience dans les conflits à travers le monde ont appris à l’organisation que se concentrer uniquement sur «l’agenda de la sécurité» ne fonctionne pas.

La guerre à Gaza, «un lieu fermé, densément peuplé», a eu un «impact dévastateur sur la population civile», dit-il. «Nous avons envoyé à Gaza notre personnel le plus compétent et le plus expérimenté. Et ce qu’ils et elles ont vu les ont vraiment choqués.»

Selon le Hamas, 14’854 personnes, dont 6150 âgées de moins de 18 ans, ont été tuées à Gaza par l’armée israélienne. L’attaque du Hamas du 7 octobre a tué 1200 personnes, selon Israël, qui estime le nombre total d’otages à 240.

Fabrizio Carboni regrette que la préoccupation du CICR pour les populations civiles des deux côtés du conflit soit un «un message aujourd’hui très difficile à faire passer». «Il est possible de se préoccuper de toutes les personnes civiles sans hiérarchiser les souffrances», ajoute-t-il.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin

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