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Violences sexuelles dans le sport : « Nous avons encore un long chemin à parcourir », prévient Catherine Moyon

Trois ans après la sortie du livre de Sarah Abitbol, dans lequel l’ancienne patineuse révèle les violences sexuelles subies au cours de sa carrière, le mouvement de libération de la parole et l’organisation de la lutte contre ce fléau poursuivent leur chemin. Une convention nationale de prévention des violences dans le sport a lieu chaque année, et parmi d’autres actions ont été mis en place une cellule dédiée à leur signalement au sein du ministère des Sports ou le contrôle de l’honorabilité des encadrants, y compris bénévoles.

Une nouvelle étape est franchie ce jeudi avec la tenue des premières Assises internationales de lutte contre les violences sexuelles dans le sport, au siège du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) à Paris. Catherine Moyon de Baecque en sera, bien sûr. Première athlète de haut niveau à avoir brisé la loi du silence après avoir été victime d’un viol en 1991, l’ancienne lanceuse de marteau a ouvert la voie du combat, seule contre tous, faisant finalement condamner ses agresseurs. Elle est aujourd’hui co-présidente de la « Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport », mise sur pied en septembre 2021 par le CNOSF et catalyseur de ce rendez-vous.

Pourquoi avoir choisi de donner une dimension internationale à ces premières Assises ?

Elle est tout à fait justifiée. Il nous a semblé important, dans la perspective des JOP 2024, que le sport français s’ouvre sur la société mais aussi à l’international. Ce n’est pas tout seul que nous allons régler cette question des violences dans le sport, c’est un combat universel, qui s’amplifie. On n’a pas tous les mêmes modèles d’action selon les pays mais on peut justement partager les expériences, s’inspirer, profiter des bonnes pratiques des autres.

Le mouvement de libération de la parole des victimes auquel on assiste en France depuis trois ans existe-t-il aussi dans les autres pays du monde ?

Absolument. Ce mouvement #MeToo, qui s’est élargi au sport, a été important dans le monde entier. Chaque pays a une politique différente de moyens et une structuration qui font que les mesures sont plus ou moins efficaces, mais il y a des choses au Canada, en Espagne aussi dans certains domaines ils sont très innovants, en Suisse… La France était très en retard, elle se situe désormais dans la moyenne. On progresse, mais il faut continuer. Il s’agit de préserver des vies. Le sport est un moyen merveilleux de grandir, s’épanouir. Il ne devrait pas détruire. Quand il le fait, nous ne pouvons plus regarder ailleurs, nous devons être à la hauteur de nos responsabilités.

Catherine Moyon de Baecque, co-présidente de la la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du CNOSF.
Catherine Moyon de Baecque, co-présidente de la la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du CNOSF. – CNOSF

Diriez-vous justement que nous sommes aujourd’hui à la hauteur des enjeux ?

Non, pour l’instant nous sommes sur une voie ascendante mais il faut avoir beaucoup d’humilité, nous avons encore un long chemin à parcourir. Et il faudrait que cela se fasse le plus rapidement possible. La lutte contre les violences est une priorité vitale, et surtout légale. Il s’agit de crimes et de délits punis par la loi, il est illégal de les laisser perdurer. Il est encore bien trop tôt pour se satisfaire des conséquences positives de nos actions. Il y a eu trois conventions nationales, qui ont été des pas en avant, mais ils ne constituent pas pour le moment une réelle avancée. La première des avancées, indispensable, sera une reconnaissance officielle au plus haut niveau de l’Etat parce que c’est en partant de là, puis à travers toutes les strates de la société et du sport français, que l’on va pouvoir afficher une cohérence et affirmer clairement que ces violences ne sont pas acceptables, qu’elles sont condamnables.

Fin décembre 2021, le bilan de la cellule de traitements des signalements du ministère des Sports faisait état de 655 personnes mises en cause dans 610 affaires. Ce n’est encore que le sommet de l’iceberg selon vous ?

Les chiffres sont très en dessous de la réalité. Il faut avoir conscience que l’ampleur de ces violences, en France et dans le monde, est innombrable et terrifiante. La courbe des violences continue à monter, c’est pour ça que nous ne pouvons pas nous satisfaire des moyens en place. Ils ont le mérite d’exister mais ils sont insuffisants. C’est la mission de notre commission de travailler pour les renforcer et en trouver de nouveaux. Et je ne doute pas qu’on va trouver des solutions.

Est-ce que toutes les fédérations jouent le jeu ?

Il y a 109 fédérations sportives membres du CNOSF n’ont pas toutes les mêmes moyens, les mêmes structures. Il y a une volonté d’avancer sur ces questions, mais insuffisante. On a conscience de devoir mobiliser et impliquer davantage. Il y a encore un fossé entre l’état d’esprit et cette volonté d’agir et ça, c’est notre responsabilité.

On en est plus au stade de la prise de conscience que de la véritable action ?

Près de 80 Fédérations ont participé à l’état des lieux entrepris par notre commission, ont remonté leurs infos, leurs préoccupations, leurs problématiques. Maintenant, l’étape suivante va être de mobiliser toutes les expertises pour apporter des solutions. On n’est pas là pour désigner les coupables mais pour changer les choses. Il y a eu quand même cette mobilisation qui n’avait jamais été menée, ces remontées massives de la part des Fédés qui ont dit « voilà où on en est, voilà pourquoi on n’avance pas, voilà ce qu’on ne sait pas faire ». Nous allons trouver les solutions, je vous l’assure.

Quels sont les principaux obstacles identifiés ?

Le premier est de remporter cette victoire au plus haut sommet de l’Etat dont j’ai parlé tout à l’heure. Ensuite, il y a le caractère hétérogène du mouvement sportif, avec des Fédés qui ont pris le problème en main, qui ont mis en place des dispositifs parce qu’elles ont les ressources pour le faire, et d’autres qui sont désemparées. C’est mon rôle d’apporter une cohérence, de rassembler, pour établir une politique efficace. Ça ne se fait pas en claquant des doigts, mais le fait d’avoir pris le temps de réfléchir, de construire pour agir, les fondations de la commission sont solides, elles vont nous permettre d’être efficaces.

Aurez-vous vos propres leviers d’action ou cela passera-t-il forcément par les ministères ?

Nous allons présenter demain [ce jeudi] des associations qui vont devenir, sous une forme encore à définir, des interlocuteurs afin de mener des actions concrètes, en lien avec les services déconcentrés du CNOSF dans les territoires. On ne va pas attendre que les ministères le fassent, ils font très bien leur travail, on peut avancer aussi de notre côté.

D’un point de vue plus personnel, que ressentez-vous aujourd’hui, plus de 30 ans après avoir brisé le silence et avoir longtemps été seule dans cette lutte ?

Pour moi, ce n’est toujours que le début. Je ressens une confiance et une espérance qui grandissent mais je suis très consciente du défi immense qui nous attend et de ces vies qu’il faut sauver, consoler et valoriser. Je porte cet espoir et cet exemple en moi, et je ne lâcherai rien, mon engagement est total. Le fait de m’en être sortie, d’être dans la résilience, j’ai cette responsabilité d’entraîner tout le monde avec moi, les victimes, l’entourage, les familles mais aussi les dirigeants, les équipes ministérielles. L’organisation du sport français fait que chacun travaille un peu dans son coin, notre rôle au CNOSF est d’apporter une cohérence, une ligne éthique et politique. On doit incarner cette éthique, elle est précieuse.