France

Une année record pour les librairies de quartier, qui n’ont pas dit leur dernier mot

« Avoir une petite librairie à soi, ça change tout. » Au milieu de ses 6.000 références de livres et ses imposants rayonnages en bois, Clara Da Silva est comme un poisson dans l’eau. Après avoir fondé une première boutique en banlieue parisienne, celle qui fût à ses débuts vendeuse à la Fnac a déménagé à Nantes pour renouveler l’aventure de la création d’entreprise. Il y a un an et demi, cette passionnée de « petites pépites et de vieilles couvertures » a ouvert Maison Marguerite, sa librairie généraliste indépendante de 55 m² située quartier Dalby. « Ici, on vend des livres mais on apporte du conseil, du réconfort et de l’humain, continue la quadragénaire. On se tutoie, c’est chaleureux, il y a cette fameuse vie de quartier. »

Ce samedi, quelque 500 magasins en France, en Suisse et en Belgique vont célébrer cet état d’esprit à l’occasion de la 25e édition de la fête de la librairie indépendante. Des animations seront proposées dans les boutiques partenaires, alors que la lecture est largement revenue sur le devant de la scène ces dernières années : à tel point que 2022 est une année record en termes d’implantation de librairies indépendantes, selon les derniers chiffres du centre national du livre (CNL). Avec 142 créations en France, le rythme a carrément été doublé par rapport aux années antérieures à 2021. Un phénomène qui n’est pas réservé aux grandes métropoles, avec un développement dans les villes de taille moyenne.

Trouver l’ouvrage que l’on n’attend pas

Après 18 ans en tant qu’assistante sociale en région parisienne, c’est plus au calme, à Châteaubriant (Loire-Atlantique), que Laure Bucamp s’est installée pour ouvrir La liste de mes envies en avril dernier. Celle qui « adore les bouquins depuis toute petite » y a vu un potentiel alors que le seul commerce qui proposait des livres, une maison de la presse, avait fermé ses portes il y a sept ans. « Les gens viennent pour commander, mais aussi pour trouver l’ouvrage qu’ils n’attendaient pas, constate Laure Bucamp, qui a reçu un soutien financier pour ses premiers mois d’installation. J’ai des clients de la commune et d’autres qui viennent de plus loin, d’Ille-et-Vilaine ou du Maine-et-Loire ! On est au-dessus du chiffre prévisionnel, même s’il faut que j’arrive encore davantage à me faire connaître, notamment en développant des animations. »

Car si les libraires indépendants ont connu un regain d’intérêt pendant la crise du Covid, qui a sûrement fait naître des vocations et des reconversions, il s’agit encore d’un « métier de l’ombre ». Protégés par la loi sur le prix unique du livre, ils doivent cependant convaincre les lecteurs qu’acheter chez eux n’est pas la même chose que sur une plateforme. « Nos librairies sont des lieux où il y a une expertise, où l’on défend la création, et pas uniquement les dix best-sellers, lance Marie-Rose Guarnieri, présidente de l’association Verbes et créatrice de la Fête de la librairie indépendante. La valeur d’un livre, ce n’est pas que les ventes, c’est aussi son contenu. Cette diversité éditoriale sauve notre démocratie. »

Cette libraire installée depuis plus de vingt ans quartier des Abbesses à Paris voit évidemment d’un bon œil la récente résurgence de ces commerces. « On a vu des gens pour qui il s’agit d’un deuxième métier, une activité moins lucrative mais qui permet de s’enrichir autrement. » Mais cette profession « exigeante » est aussi semée d’embûches. A Nantes, Clara Da Silva ne parvient pas encore à se dégager un salaire et confie qu’il faut « beaucoup d’énergie » et ne pas avoir peur de « beaucoup travailler ». D’après le Centre national du livre, le rythme de créations de librairies semble s’infléchir. « Une cinquantaine de projets d’ouverture » sont cependant d’ores et déjà identifiés en 2023.