France

Salaires des enseignants : Ce qu’ils pensent du « pacte » proposé par Macron… « C’est de la poudre de perlimpinpin ! »

Travailler plus pour gagner plus : ce slogan de Nicolas Sarkozy s’appliquera bientôt aux enseignants. Emmanuel Macron a annoncé jeudi des augmentations de rémunération pour les profs. Elles comporteront une part versée à tous, ainsi qu’une part versée à ceux qui accepteront de nouvelles missions dans le cadre du « pacte ». Ces taches seront de différents ordres : remplacement de courte durée, encadrement de « devoirs faits » ou de stage de réussite pendant les vacances, mission de référent des élèves à besoins particuliers, pilotage d’un projet d’innovation pédagogique…

Des augmentations conditionnées qui suscitent l’ire des syndicats, mais aussi celle des enseignants. Sur une soixantaine de réponses que nous avons reçues à notre appel à témoins sur le sujet, seuls deux profs envisagent de signer un « pacte ». Tout d’abord Cyril, 54 ans : « Oui, je l’accepterai car ma situation financière est très dégradée et je ne peux pas me permettre de refuser. » Idem pour Elodie, 29 ans, professeur des écoles : « Je vais m’engager dans le dispositif car j’ai besoin d’un salaire plus important. »

Un refus par principe du « pacte »

Pour tous les autres, c’est donc niet ! Pour certains, c’est une question de principe, car l’idée même d’augmentations conditionnées les heurte profondément : « Une revalorisation, ce n’est pas une augmentation du temps de travail pour une augmentation de salaire », souligne Emilie. « Les enseignants doivent être fortement augmentés sans contrepartie, ne serait-ce que pour rattraper les conséquences du gel du point d’indice depuis des années et compenser l’inflation », estime aussi Stéphane.

Certains estiment même que ce « pacte » contribue à les dévaloriser aux yeux de l’opinion publique. « Accepter des heures en plus laisse à penser que nous ne travaillons pas beaucoup et que nous pouvons aisément en faire davantage. Même si beaucoup considèrent que nous sommes des fainéants, toujours en grève, absentéistes et en vacances, nous ne sommes pas corvéables à merci », s’agace Charlotte, prof agrégée de Lettres en lycée. « Cette réforme c’est de la poudre de perlimpinpin ! », ironise, amère, Amélie, retournant l’expression macronienne.

Des profs déjà sous l’eau…

Autre raison qui empêche les enseignants d’accepter des missions supplémentaires : le manque de temps. « Notre temps de travail ne se limite pas à notre présence en classe. Nous devons préparer, corriger, aménager, différencier, ranger, rencontrer les collègues, les parents, préparer les réunions, se réunir, faire des bilans, rédiger un nombre incalculable de paperasses, se former, se renouveler… Une ou deux heures de plus par semaine ne sont même pas envisageables dans mon organisation ! », explique Noélie. Un manque de temps qui se cumule souvent avec des conditions de travail difficiles, comme pour Julie, 50 ans, prof de français au collège : « Je travaille en REP, à une heure de chez moi. Je fais déjà des heures sup’, des missions supplémentaires, et je suis au bord du burn-out. »

La perspective de caler des heures supplémentaires semble aussi très difficile à imaginer pour les professeurs des écoles : « Je fais déjà 50 heures en moyenne par semaine. Donc non, je ne travaillerai pas plus », témoigne Nathalie. Serge, en charge d’une classe de CE1, a aussi l’impression d’être sous l’eau : « Il y a une trop grande hétérogénéité dans ma classe, avec des enfants qui ne lisent pas correctement, et cela demande une grande préparation. On a beaucoup de matières à préparer, donc je n’ai ni le temps ni l’énergie. »

Les remplacements de courte durée rebutent

Pour les profs du secondaire, les missions du « pacte » seront prioritairement des remplacements de courte durée. Ce qui rebute moult enseignants, à l’instar de Yann : « Je n’accepte pas qu’on me siffle pour remplacer un collègue ! ». Farid, lui, trouve le système pédagogiquement douteux : « Demander des remplacements au pied levé, c’est à la fois manquer de respect au travail des enseignants et aux élèves. Car un cours ne s’improvise pas et de ce fait, on accepte que soit dispensé un cours de mauvaise qualité. Cela acte donc qu’il s’agit d’une mission de garderie. » Sandra acquiesce : « Aborder avec les élèves une page de manuel sans préparation ne leur permet pas de progresser. »

Celles et ceux qui assument déjà des missions en plus ou effectuent des heures sup ne voient pas non plus très bien ce qu’ils auront à gagner. « Les heures de remplacement de courte durée pourront m’être imposées à des jours et horaires qui ne me conviennent pas », relève ainsi Jean-Baptiste, prof agrégé, qui choisit aujourd’hui ses heures sup à sa convenance. Certains profs, comme Jérôme, ont aussi fait leurs calculs : « Je suis déjà engagé dans le dispositif « devoirs faits » et j’ai eu l’occasion de faire un remplacement d’une collègue en arrêt, également rémunéré en heures supplémentaires. Elles me rapportent plus que les sommes annoncées pour le « pacte  » », estime-t-il. Aurélie craint aussi de ne pas gagner plus : « Je devrais payer pour faire garder mes propres enfants pour gagner plus », souligne-t-elle.

La crainte d’une zizanie dans les établissements

Enfin, les enseignants s’interrogent sur la manière dont le « pacte » sera mis en œuvre. « Seuls les chouchous du directeur d’école se verront attribuer des missions supplémentaires, le risque de chantage et de favoritisme est évident », estime Jean-Baptiste. « Les directions peu conciliantes pourront imposer ces heures comme bon leur semble, aux dépens des obligations familiales, personnelles, médicales des uns et des autres. Les risques sont lourds et le fait d’être corvéable à merci me fait hésiter », confie aussi Rose.

Léon, professeur d’électronique en lycée pro, anticipe des tensions : « L’ambiance va être « sympa » en salle des profs, entre ceux qui gardent un peu d’estime d’eux-mêmes et ceux qui participent au dévoiement de l’Education nationale pour quelques clopinettes ! » Reste à savoir comment les chefs d’établissement parviendront à maintenir un climat serein à la rentrée.