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Biathlon : « Ce globe, on ne me l’enlèvera pas », savoure Julia Simon

Si la quiétude était une image, ce serait celle de Julia Simon, attablée, tasse de thé à la main en attendant notre arrivée dans des bureaux du 16e arrondissement parisien. Seul manquait le crépitement d’un feu de cheminée pour compléter le tableau, mais l’idée est là. La biathlète de 26 ans, nouvelle détentrice du gros globe de cristal, savoure un graal qu’elle espérait un jour atteindre, mais peut-être pas aussi vite. Pour 20 Minutes, elle revient sur cette saison dominée de bout en bout.

A quoi ont ressemblé vos premiers jours en tant que meilleure biathlète du monde ?

Je suis rentré à la maison, où une petite surprise m’attendait, avec ma famille et mes amis. Je n’ai pas encore trop eu le temps de voir mes amis, il me tarde de faire la fête ! Je commence à redescendre, j’ai réalisé ce que j’ai accompli, c’est vraiment cool. La pression est complètement retombée. Les prochaines semaines seront pour prendre du temps et profiter.

Ce moment de décompression entre deux saisons sera important pour vous. On l’a vu avec Quentin Fillon-Maillet, la saison d’après n’est pas forcément évidente. Est-ce que c’est dans un coin de votre tête ?

Je pense que Quentin a fait une saison tellement folle qu’il a dû avoir énormément de sollicitations. Sa situation m’a appris à savoir dire non et bien s’écouter. Il va falloir que je sois à l’écoute de mon corps, de ma tête et ne pas repartir fatiguée. Je vais donc essayer de relâcher la pression. On fait tous des erreurs pour apprendre, on verra si moi aussi j’en ferai. En tout cas, il faudra que je fasse une bonne pause, et ça sera sans aucun doute l’une des choses les plus importantes pour repartir avec beaucoup d’aplomb et d’envie.

C’est d’autant plus important que vous avez terminé la saison un peu sur les rotules…

Là, ça va déjà un peu mieux. Changer d’air et monter à Paris, ça me fait du bien. Je ne l’aurais pas pensé (rires) ! Je me suis senti épuisée mentalement. Physiquement mon corps pouvait tenir, mais mentalement, c’est un sport tellement exigeant en termes de concentration que ça en devenait pénible. Ma barrière, c’était cette dernière mass-start de la saison. Une fois passée, il y a eu de la décompression mentale. J’aurais été incapable de faire une course de plus. J’ai vécu un grand moment de relâchement avec beaucoup plus de fatigue que d’habitude. J’ai senti un poids en moins sur mes épaules.

Qu’est-ce que vous vous êtes dit pendant ce moment de relâchement ?

Que c’était ouf. Ça y est c’est fait, on ne me l’enlèvera pas. Je ne m’étais pas autorisé à cogiter jusqu’au tout dernier sprint de la saison. Mon cerveau était sur le mode course après course. Une fois le sprint passé, on a bu un coup avec l’équipe, et le soir je n’ai pas réussi à dormir parce que mon cerveau me rejouait tous les moments de l’hiver. C’est là que je me suis permis de prendre du recul sur ce que je venais de réaliser.

Julia Simon et le globe de cristal
Julia Simon et le globe de cristal – AFP

Votre régularité et votre sérénité cette saison vous ont-elles surprise ?

Je me suis surprise sur l’enchaînement des compétitions, des bonnes courses et ma capacité à me relancer. A un moment dans la saison, j’ai eu une discussion avec le coach où j’expliquais avoir l’impression que de faire un podium, c’était normal. Et d’un côté c’était normal parce que je jouais le globe. Donc certes j’étais très contente, mais sans partir trop haut dans les émotions. Du coup, je n’avais pas cet ascenseur émotionnel qui fait perdre une énergie folle. Le fait de canaliser mes émotions aura été une des clés de ma saison. C’était très différent de ces dernières saisons où je me laissais aller à l’euphorie quand je gagnais. Là, c’était différent. Je profitais des podiums et je passais à autre chose. C’est un peu la clé.

D’un côté, il ne faut pas banaliser le podium ou même une cérémonie des fleurs, parce que la concurrence est tellement forte que c’est dur d’y parvenir. De l’autre, il ne faut pas laisser les émotions prendre trop le dessus. J’ai réussi à bien gérer.

Même le premier dossard jaune de la saison n’a causé aucun sursaut émotionnel ?

Il y a quand même eu de l’euphorie ! J’ai fait un bon sprint à Hochfilzen qui me permet de gagner ce dossard jaune. Au début, je me suis dit que de faire la poursuite en jaune, ça ne changerait rien. Tu parles ! Une fois que je l’ai enfilé j’ai eu les jambes qui tremblaient. J’ai eu un petit moment de faiblesse, je me disais « ouah, j’ai vraiment le dossard jaune », et c’est la classe. J’ai passé un bon moment puisque j’ai gagné la course pour cette première en jaune. C’était un moment fort et l’une des courses dont j’étais le plus fière cet hiver.

Qu’est-ce que ça change de porter ce dossard jaune ? On jouit d’une aura particulière en le possédant ?

Oui et non. A titre personnel, c’était gratifiant de me dire que j’arrivais à le porter, à en être digne. Ça me donnait presque une nouvelle responsabilité. Sur les mass-start par exemple, quand tu es en jaune, sur le premier tour, personne ne te passe devant. « C’est toi la leader, donc travaille pour nous ! » Mais je ne me suis jamais sentie supérieur. Il y a énormément de respect entre nous toutes.

Ce gros globe de cristal arrive du premier coup alors que vous vous l’étiez fixé comme objectif pour dans les trois années à venir. En quoi consistait ce plan et en quoi ça a changé votre manière de travailler ?

Cette route vers le gros globe était un gros objectif parsemé de plein de petits objectifs pour l’atteindre. Avec Jean-Paul, mon coach du tir, on a retravaillé tout le tir. Ça a très vite porté ses fruits, donc mon but était de le mettre en place en course cet hiver pour gagner en régularité, m’approcher du top 5 du classement général, engranger de la confiance et jouer le globe dans les années suivantes. Finalement, c’est allé plus vite que prévu, d’autant que physiquement je me sentais très bien. Mon point faible était mon tir couché, et le fait d’avoir réglé ce problème m’a propulsé sur le devant.

Quand avez-vous compris que ce n’était pas juste une bonne saison mais que vous étiez en train de jouer la gagne au général ?

Fin février. Après les Mondiaux, c’est clairement devenu un objectif. Je pensais vraiment que l’apprentissage des émotions et de la pression serait plus long. Mais une fois que je portais le jaune, je ne comptais pas le laisser s’échapper parce que ça ne se représentera peut-être pas dans ma carrière.

A la fin de la saison, tous les suiveurs du biathlon sortaient leurs calculettes…

(Elle coupe) Moi je ne comptais pas, justement (rires).

Un coup c’était Elvira Oeberg, un coup Vittozzi, l’autre Wierer, mais d’un côté on n’en vient jamais à paniquer parce que vous faisiez toujours les places qu’il fallait, sans forcément gagner. Est-ce qu’il y a eu dans cette fin de saison l’idée d’une gestion, de ne pas se cramer pour aller à tout prix remporter une course mais plutôt viser une certaine régularité ? 

Il y a un peu de ça. Mais j’ai aussi eu le Covid après les championnats du monde. Donc j’ai eu une incertitude autour de ma forme. Comment je vais être ? Comment mon corps va réagir après ? J’ai essayé de ne pas paniquer. J’avais des problèmes de respiration mais je me suis adaptée en me disant de sauver les meubles pour la reprise en République tchèque (après les mondiaux) et ne pas perdre trop de points. Finalement, j’ai de la chance puisque je fais une 9e et une 4e place. Puis derrière, on se rend compte qu’Elvira non plus n’est pas bien, ce qui me permet de rester devant. Mon but c’était clairement de composer avec la forme du moment et ça s’est très bien déroulé. Mais je n’ai jamais été vraiment sur la défensive. A chaque fois que je le fais, ça ne marche pas. Donc je considère que j’ai toujours été à l’attaque, et jamais sur la retenue.

Finalement le Covid, c’était presque le plus stressant dans tout ça…

Totalement. On ne sait pas comment on va réagir. Finalement, j’ai eu des soucis de respiration. Le jour de l’individuel d’Ostersund, je ne me sentais vraiment pas bien, j’avais l’impression de faire des crises d’asthme sur la piste et je fais le meilleur temps de ski. C’était vraiment des sensations horribles et en faisant abstraction de ça je réussis à terminer 4e. Ce n’est pas un podium, mais pour le général ça vaut cher.

Julia Simon a aussi brillé en relais cette saison
Julia Simon a aussi brillé en relais cette saison – Grega Valancic / Sportida

Il y a eu le titre collectif aussi avec le petit globe du relais. Comment avez-vous vécu la course décisive à laquelle vous n’aviez pas pu participer ?

Ce jour-là, j’avais les bronches trop enflammées, c’était trop limite. Je les ai regardées sur le canapé. C’était une super course mais encore une fois je n’avais pas fait de calculs (rires) ! Je ne savais pas exactement ce qu’on devait faire pour avoir ce petit globe. Je pensais qu’il suffisait de battre les Suédoises, mais en fait il fallait aussi battre les Allemandes. Les filles ont géré, et c’est là qu’on voit la force de notre équipe. On a toutes participé au relais cet hiver et c’est quelque chose de fort, on peut en être fières.

Est-ce que vos futures rivales les plus dangereuses sont en équipe de France ?

Je l’espère ! C’est tout ce qu’il faut souhaiter au biathlon français. Mais le plateau est encore très dense. Il y a les Suédoises, les Norvégiennes qui auront à cœur de montrer qu’elles reviennent fort. Il y a du monde.