France

« Quand on charge à l’aveugle une manifestation, on ne s’attaque pas à l’ultragauche », estime le député PS Roger Vicot

« On a le sentiment que vous ne maîtrisez plus votre police. » Ce n’est pas un militant de l’ultragauche qui parle au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Il s’agit d’un député (PS) du Nord. Mercredi, Roger Vicot était l’orateur du groupe socialiste lors de l’audition du ministre au sein de l’assemblée nationale, après les violences qui ont émaillé les récentes manifestations contre la réforme des retraites, mais aussi à Sainte-Soline, contre le projet de mégabassines. Quand il était adjoint à la sécurité de la ville de Lille, Roger Vicot n’avait pas la réputation d’un laxiste. Bien au contraire. Pourtant, il se dit « déçu » et « interloqué » par l’attitude du ministre.

Comment s’est passée cette audition ?

Gérald Darmanin a pris un quart d’heure à nous expliquer que ce qui se passe dans le pays est le fait de l’ultragauche. Il semble d’ailleurs que ce mot « ultragauche » soit un élément de langage car, depuis quelques jours, tous les députés de la majorité l’emploient dans chaque phrase. C’était caricatural. On ne peut pas résumer la situation du pays à l’existence d’une ultragauche. C’est une stratégie pour nous faire dévier le regard.

C’est-à-dire ?

On ne peut pas passer sous silence les raisons pour lesquelles on en est arrivé là. Il y a eu, de toute évidence, une évolution de la doctrine d’emploi de la police nationale à partir de l’utilisation du 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites. J’ai beaucoup de respect pour la police. Je condamne, bien entendu, toute forme de violences, mais on a l’impression que de nouvelles instructions sont données. Avant le 49.3, les manifestations étaient encadrées dans un esprit d’apaisement. Ensuite, nous sommes passés à des affrontements systématiques où les policiers ne font pas de distinctions entre les casseurs et les manifestants.

Il faudrait d’abord que le ministre se remette en question sur la politique du maintien de l’ordre. Mais il ne veut rien entendre. »

On ne peut nier la provocation de certains manifestants…

Mais justement, le rôle de la police est de garder ses nerfs. Quand on charge à l’aveugle une manifestation, on ne s’attaque pas à l’ultragauche. Quand on matraque des jeunes coincés contre un mur, on ne s’attaque pas, non plus, à l’ultragauche. Si le but est de se lâcher contre les manifestants et de se comporter comme les plus violents, où va-t-on ? Ce pays est traversé par une vraie colère. Même si la radicalisation s’accentue, par moments, dans les cortèges, ça n’explique pas pourquoi les policiers rentrent dans le tas comme ça, à coups de matraque, de gaz lacrymogène et, plus grave, avec l’utilisation de LBD. Il faut rappeler que c’est une arme interdite en Grande-Bretagne et en Allemagne. Elle fait des ravages et ne doit être utilisée que dans des cas extrêmes et de façon proportionnée.

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas en France ?

Il faudrait d’abord que le ministre se remette en question sur la politique du maintien de l’ordre. Mais il ne veut rien entendre. Contrairement à l’Allemagne, la police a une culture de la confrontation. On a le même problème que dans les banlieues. On apprend aux policiers que la banlieue serait un territoire de danger systématique. La méfiance des uns envers les autres s’alimente en permanence.

Quelles solutions proposez-vous ?

Je plaide depuis longtemps pour remettre à plat la formation des policiers. J’avais d’ailleurs présenté des amendements dans ce sens lors du vote de la loi Lopmi sur la sécurité. Il faudrait modifier cette formation. En Allemagne, par exemple, la police est formée à la désescalade. Les policiers apprennent à apaiser une situation. Il n’est pas question d’indulgence et de laxisme. Des unités spéciales doivent appréhender les éléments violents, mais ce n’est pas en rentrant dans le tas qu’on y parvient. Je pense qu’il faudrait appuyer ces formations sur les sciences sociales pour mieux connaître ce qui se passe dans le pays. Et pour que les policiers restent de vrais gardiens de la paix. J’aime beaucoup ce terme « gardien de la paix ».