France

Liverpool, ville ukrainienne officieuse le temps de l’Eurovision

De notre envoyé spécial à Liverpool (Royaume-Uni)

« Notre courage impressionne le monde, notre musique conquiert l’Europe. L’année prochaine, l’Ukraine accueillera l’Eurovision ! » Le 15 mai 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky réagissait à chaud à la victoire de ses compatriotes de Kalush Orchestra au concours de chansons. Son souhait ambitieux n’a pas été exaucé. Ce samedi, c’est à Liverpool (Royaume-Uni) que se tiendra la finale de l’Eurovision. Si la compétition se déroule sur le territoire britannique, elle revêt une forte dimension ukrainienne.

La BBC ne cesse de le répéter : elle organise l’événement « au nom » de l’Ukraine. C’est une première dans l’histoire du concours créé en 1956. « Nous sommes reconnaissants pour tous ce que la production fait, cela signifie beaucoup pour notre pays. On savait qu’elle ferait du bon boulot, avance à 20 Minutes le duo Tvorchi qui représente l’Ukraine cette année. »

« Unis par la musique »

Les demi-finales de mardi et de jeudi ont certes laissé une place à l’humour british et aux références à la culture pop anglaise mais elles n’ont jamais éclipsé l’Ukraine. Le slogan « United by Music », unis par la musique, est suivi à la lettre. Des tableaux d’ouvertures aux numéros de l’entracte et aux cartes postales, ces courtes vidéos présentant les candidats avant leur passage sur scène, l’idée était de créer des liens symboliques d’un pays à l’autre. Il en sera de même en finale, dès la parade des drapeaux où des artistes ukrainiens qui ont marqué l’histoire du concours (Jamala, Verka Serduchka, Go_A…) feront entendre leurs voix. Le grand raout sera présenté par les Britanniques Graham Norton, Hanna Waddingham et Alesha Dixon ainsi que par l’Ukrainienne Julia Sanina.

« La collaboration entre la BBC et UA : PBC [le diffuseur ukrainien] a dépassé mes attentes. Elle a commencé très vite et s’est déroulée en bonne intelligence mais en tant que superviseur de l’Eurovision, il était important que l’accent ne soit pas seulement mis sur deux pays mais sur l’ensemble des pays participant », a déclaré diplomatiquement Martin Österdhal en conférence de presse mercredi.

« Avant la guerre, il n’y avait pas de vraie communauté ukrainienne ici »

Il suffit cependant de faire un tour dans Liverpool pour constater que l’Ukraine est partout. Les drapeaux jaune et bleu ont investi les vitrines du centre-ville, d’immense rossignol – symboles du pays attaqué par la Russie – sont répartis sur les places les plus fréquentées : si l’on s’approche d’assez près, on peut y entendre des airs traditionnels ukrainiens. Il y a aussi l’EuroFestival, un ensemble d’installations artistiques, la plupart étant des collaborations entre des artistes ukrainiens et britanniques, mises en place dans toute la ville.

« Notre communauté a été impliquée dans la candidature de Liverpool et une fois qu’elle a été désignée pour l’organisation, on a été impliqué dans la préparation de l’événement, pour donner des conseils, parler de notre histoire, de notre culture », rappelle à 20 Minutes le révérend Taras Khomych, originaire de Lyviv en Ukraine et installé depuis dix ans à Liverpool.

« Avant la guerre, il n’y avait pas de vraie communauté ukrainienne ici, l’Eglise ukrainienne était la seule structure un peu formelle où les gens se réunissaient », poursuit-il. Il estime aujourd’hui à un millier – il n’existe pas de statistique précise – le nombre d’Ukrainiens venus s’installer à Liverpool en raison du conflit. Il est désormais à la tête du centre communautaire ukrainien de la ville, qui a inauguré ses locaux le mois dernier et où 200 exilés se réunissent selon les activités proposées (cours d’anglais, aide au remplissage des formulaires administratifs…)

Pas de Zelensky

« L’Eurovision, c’est d’abord une fête mais, pour les Ukrainiens, c’est plus politique, c’est une occasion de rappeler au public que la guerre se poursuit », explique Taras Khomych. Il espère que l’événement permettra de « renforcer le soutien de la communauté internationale » envers son pays d’origine. « Les médias ont tendance à passer à autre chose, mais ça ne veut pas dire qu’il ne se passe plus rien là-bas. On a besoin de soutien », plaide-t-il.

Jeudi, l’Union européenne de radiotélévision (UER), qui chapeaute l’événement, faisait cependant savoir qu’elle n’avait pas accepté la demande de Volodymyr Zelensky de s’exprimer dans le cadre de la finale de l’Eurovision car cela serait contraire à ses principes d’événement apolitique…

Pour Anna Ekvist, une Ukrainienne engagée dans le centre communautaire, « il est important que le public n’oublie pas que l’Ukraine n’organise pas la compétition à cause de la guerre. » Mais les Ukrainiens de Liverpool auront-ils le cœur à la fête samedi soir ? « Les sentiments sont mitigés, glisse-t-elle. Il faut continuer à vivre pour soutenir l’Ukraine. Si on est déprimé, qu’on reste les bras croisés, on ne sera d’aucune utilité. On ne va pas bien le faire. Mais on ne peut pas oublier que des gens de notre communauté ont des proches qui se battent sur le front, ou qui sont morts. »