Belgique

« Une école sans harcèlement, ça n’existe pas »

Bruno Humbeeck, vous êtes psychopédagogue et expert du harcèlement. Le plan de la ministre vous semble-t-il pertinent?

“La ministre Désir a mis en place un cadre et honnêtement, je ne saurais pas vous dire si c’est bien ou pas bien. J’ai en revanche le sentiment que les moyens sont insuffisants. Je n’ai toujours pas l’impression que le harcèlement scolaire soit la priorité absolue. Un enfant peut avoir peur à l’école, c’est normal. Mais il ne peut pas être inquiet en permanence parce qu’il a peur d’être agressé. Quand cette peur se transforme en désespoir, c’est-à-dire un sentiment qui mobilise toute votre vision du monde, on a un vrai problème. Tant que ces situations existeront, le Pacte d’excellence et les autres réformes de l’enseignement ne serviront à rien pour ces enfants désespérés. Pour moi, la prévention du harcèlement doit être la base de tout. Tout le reste est une pyramide sur un sable mouvant. Et il ne suffit pas de dire que le harcèlement est une priorité, il faut aussi donner les moyens aux écoles de s’équiper techniquement pour en venir à bout.”

L’amélioration du climat scolaire et la lutte contre le (cyber) harcèlement à l’école seront encadrées dès l’année prochaine

Quels sont ces moyens techniques?

“Pour gérer le harcèlement, on doit pouvoir gérer le climat de classe, c’est-à-dire construire du vivre ensemble. Ça suppose des techniques parce que ça ne s’impose pas naturellement. Si vous demandez à vos élèves d’être bienveillants les uns envers les autres, c’est très sympa mais malheureusement ça ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir rappeler qu’il y a des lois dans nos sociétés et qu’il faut pouvoir émettre des sanctions. L’usage asocial des réseaux sociaux doit être clairement interdit. C’est le principe du cyber help : les victimes de harcèlement vont pouvoir garder les traces des agressions pour que des sanctions puissent être émises. Ça n’oblige pas l’école à faire des enquêtes mais ça permet de stopper le comportement problématique. C’est ça qui m’agace très fort : on sait par quel moyen on peut contrôler le phénomène mais pour le moment, on est dans une espèce de prudence qui caractérise très fort les politiques actuelles, c’est-à-dire qu’on laisse chaque école bricoler son propre dispositif.”

Une école sans harcèlement, ça existe?

“Non, c’est impossible. Dès qu’il y a des groupes, des jeux de pouvoir se mettent en place et créent de la souffrance chez les uns et les autres. L’objectif est surtout d’éviter cette souffrance qu’on rencontre dans toutes les classes.”

« Vous pourriez vivre, vous, avec un mort sur la conscience ?”

Les écoles en sont-elles suffisamment conscientes?

“Il y a une quinzaine d’années, des écoles disaient encore ‘le harcèlement, c’est pas chez nous, c’est chez les autres’. Maintenant tout le monde a admis qu’il y en avait partout et surtout, il y a cette caisse de résonance énorme que sont les réseaux sociaux qui fait que le cyberharcèlement devient omniprésent donc on ne peut plus éluder la question. Il y a par contre encore des écoles qui disent ‘ce n’est pas vraiment du harcèlement’ quand des parents tentent de les alerter. Forcément, quand un parent entend ça, il se dit que l’école ne va strictement rien faire or si vous souffrez dans votre classe, qu’on appelle ça harcèlement ou pas on s’en fout. le problème c’est que vous souffrez et attendez qu’on trouve une solution !”

Pourquoi est-ce si difficile pour une direction d’admettre que des enfants sont harcelés dans ses murs?

“L’école qui essaye de fuir en disant ‘c’est pas vraiment du harcèlement’ une école qui se sent sous équipée. Elle n’est pas mal intentionnée mais a peur de faire pire que mieux en agissant.”