Belgique

Procès des attentats de Bruxelles: « J’ai décollé du sol et puis ce fut l’obscurité », une première victime témoigne, entre émotion et force mentale

Amputée des deux jambes sous le genou, Béatrice Lasnier de Lavalette, 24 ans, est revenue, avec émotions, sur la sinistre journée du 22 mars, alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre sa famille aux États-Unis. « J’ai décollé du sol et puis ce fut l’obscurité. Un peu plus tard, j’ai repris conscience et j’ai vu ma jambe pliée en angle droit », s’est-elle remémorée devant une salle d’audience plus remplie que d’ordinaire. Puis les premiers intervenants sont arrivés. « J’ai entraperçu une porte qui me semblait comme une lumière dans cette obscurité », retrace-t-elle. « J’ai alors compris que je n’étais pas morte ». Une fois prise en charge par les secours, elle a perdu connaissance et est restée dans le coma pendant un mois.

Son quotidien a ensuite été une succession d’opérations chirurgicales et de greffes de peau, ballotée tour à tour entre les soins intensifs, le centre de réhabilitation et le complexe militaire de revalidation aux États-Unis où elle a été admise pour y être soignée.

Au-delà de la récupération physique, « il m’a fallu énormément de force mentale pour surmonter ces événements. J’avais 17 ans et ma vie était fichue », explique-t-elle, transie. Elle s’est alors fixée une série d’objectifs, épaulée notamment par sa famille. Parmi ceux-ci, décrocher son diplôme et remonter en selle, après d’émouvantes retrouvailles avec son cheval, qui l’a attendue pendant ses longues semaines à l’hôpital.

Procès des attentats de Bruxelles: certaines victimes n’auront pas le courage de venir témoigner

Béatrice est aujourd’hui devenue une athlète professionnelle, membre de l’équipe américaine de sports équestres depuis 2021. Elle dit vivre avec des hauts et des bas, et tient le coup grâce à une force mentale forgée depuis les faits.

Avant son témoignage, Aline Fery, avocate de l’association de victimes Life4Brussels, avait prévenu que plusieurs victimes des attentats du 22 mars 2016 ayant été appelées à la barre n’auraient pas le courage de venir témoigner. « Certaines personnes n’ont pas la force d’affronter la cour d’assises, le regard des accusés, la souffrance. Cela ne veut pas dire qu’elles ont un désintérêt pour la cour d’assises, loin de là. Elles n’ont tout simplement pas le courage », avait-elle indiqué.

Et de fait, dès le premier jour des témoignages des parties civiles, deux proches de victimes décédées à Zaventem, et qui devaient s’exprimer lundi après-midi devant la cour d’assises de Bruxelles ont renoncé à prendre la parole. À la place, la présidente Laurence Massart a lu à l’audience une lettre adressée à la cour par l’épouse d’un ressortissant américain, puis un procès-verbal pour suppléer le témoignage de la mère d’une trentenaire de nationalité allemande.

La journée de lundi avait commencé par le témoignage de quatre médecins spécialistes. Ceux-ci ont exposé les dégâts physiques et psychologiques qu’endurent les victimes des attentats.

Serge Jennes, anesthésiste-réanimateur, spécialiste des grands brûlés, a notamment décrit l’extrême douleur ressentie par les victimes des attentats, brûlées à des degrés divers, et qui souffraient par ailleurs de lésions dues au polycriblage, résultant de la projection de toute sorte d’éclats sur le lieu d’une explosion. « On n’avait jamais vu ça en Belgique… C’est plutôt le genre de scènes de guerre que nos médecins militaires observent en Afghanistan », a-t-il témoigné.

Thierry Lejeune, médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation, a quant à lui abordé le long parcours de réadaptation par lequel les rescapés transitent le temps de retrouver la place qui leur convient le mieux dans la société.

L’expert ORL en dommages corporels, Gérald Van Geert, a ensuite abordé les troubles ou lésions auditives, à la suite des explosions (effet de souffle, le « blast »), qui sont très invalidantes et souvent définitives.

Enfin, l’experte psychiatre Nadia Kadi Van Acker s’est penchée sur le cas des personnes souffrant de séquelles psychiques, et notamment de troubles post-traumatiques, qui se déclinent par toute une série de symptômes (troubles de la mémoire, troubles de la concentration, problème de dissociation, humeur fluctuante, dépression, anxiété difficile à gérer…). Elle a détaillé les différents outils disponibles pour aider ces « victimes invisibles » à avoir « une vie plus douce » et à « réapprendre à vivre dans le quotidien ».

Le chemin vers une forme de guérison peut durer des années voire toute une vie, ont souligné les praticiens.