Belgique

L’enseignement supérieur belge reste l’eldorado des étudiants français: sont-ils trop nombreux?

Régulièrement, chez nous, l’un ou l’autre secteur tire le signal d’alarme face aux difficultés créées par cet afflux (lire les pistes de solution par ailleurs). Rappelons qu’un quota maximum de nouveaux inscrits qui ne résident pas en Belgique a été instauré dans plusieurs filières mais pas toutes (c’est le cas en médecine et dentisterie, sciences vétérinaires, kiné, logopédie et audiologie). Faut-il aller plus loin ?

Jusqu’en 2019-2020

Que disent les chiffres ? Malheureusement, les données officielles compilées par l’Ares (la Fédération des établissements d’enseignement supérieur) s’arrêtent en 2020-2021 en ce qui concerne les écoles des arts et les hautes écoles, et même en 2019-2020 pour les universités. On a très peu de recul concernant les effets des nouvelles règles dans l’Hexagone.

Prenons néanmoins ce point de départ, l’afflux d’étudiants français ne datant pas d’hier. À la lecture des chiffres disponibles sur plusieurs années, on constate trois choses intéressantes.

En nombres absolus, on comptait 21 246 étudiants français dans l’enseignement supérieur francophone de Belgique en 2014-2015 (c’est un étudiant sur deux ne résidant pas en Belgique). Après avoir diminué, les trois années suivantes, leur nombre s’est remis à augmenter depuis 2018-2019, un peu chaque année. En 2019-2020, ils étaient 20 996 (moins que cinq ans plus tôt). Et ce sont surtout les universités qui portent cette hausse, avec une augmentation de 350 à près de 400 inscrits en 2018-2019 puis à nouveau en 2019-2020.

Pierre Jadoul (Université Saint-Louis) : “Il y a un vice structurel dans le financement de l’enseignement supérieur”

À titre de comparaison, on estime le nombre de Belges qui étudient en France quatre fois moins important.

Pour en revenir aux étudiants français en Belgique, il faut comparer les chiffres à l’évolution du nombre total d’étudiants du supérieur. Ce dernier apparaît en effet en hausse constante depuis 2014-2015. De 187 240 étudiants à l’époque, on est passé à 205 626 en 2019-2020 (soit une augmentation de près de 10 %, là aussi essentiellement tirée par les universités). Par conséquent, les raccourcis qui font un lien général entre une présence massive d’étudiants français et la surpopulation étudiante sont faux. En tout cas jusqu’en 2019-2020. D’ailleurs, les Français qui constituaient 11,3 % des étudiants du supérieur chez nous en 2014-2015 dépassaient à peine 10 % de l’effectif total cinq ans plus tard.

34 % de Français dans les écoles des arts

Est-ce pour autant qu’il n’y a pas de problème ? Pas si vite. Ces moyennes cachent en effet d’énormes disparités. Derrière cette part de 10 %, par exemple : les hautes écoles et les universités inscrivent autour de 9 % de Français, alors que les écoles des arts plafonnent à environ 34 % depuis des années ! En outre, à l’intérieur d’un même établissement, certaines filières sont beaucoup plus prisées que d’autres par nos voisins.

Un “appel d’air” vers la Belgique

Pour savoir ce qui s’est passé depuis 2020, nous avons procédé à quatre coups de sonde. Dans trois universités et une haute école.

L’ULB rapporte brièvement une situation conforme aux années précédentes. “Nous comptons cette année 4544 étudiants français sur 38 078 étudiants au total, détaille Ophélie Boffa, la porte-parole de l’université. Les Français représentent 12 % de la communauté étudiante totale et 37 % du total des étudiants internationaux.” Ils sont majoritairement en sciences de la santé (pharmacie, médecine, santé publique) et de la motricité (kiné).

Frédéric Schoenaers est vice-recteur à l’enseignement à l’ULiège. “Cette année, nous comptons au total 2532 étudiants français et, au terme de l’année académique précédente, nous en avons diplômé 582. C’est, comme d’habitude, environ 10 % de notre population totale.” Le top 4 se compose de la médecine (700 étudiants français), des sciences vétérinaires (427), de la psycho, logopédie et sciences de l’éducation (387) et des sciences (220). Avec respectivement 184, 134, 68 et 54 diplômés récents.

L’homme épingle le manque d’harmonie des conditions d’accès et du coût des études à l’échelle européenne. “Un accès plus ouvert et des frais moins élevés peuvent générer un appel d’air. C’est ce qui se passe en Communauté française.”

Même s’il se dit très favorable à la mobilité étudiante, il évoque ce qu’il considère comme les deux principaux problèmes actuels : “La gestion des flux et les finances. Dans le cadre d’un financement en enveloppe fermée, les ressources n’augmentent pas autant que le nombre d’étudiants. D’où une diminution du taux d’encadrement moyen dans les filières qui enregistrent de fortes hausses d’inscriptions.” Et un recul possible de la qualité de ces formations.

Parlant finances, une autre source qui connaît bien le dossier dénonce comment ce potentiel d’étudiants français fait monter la concurrence entre les établissements. “Qui en attirera davantage touchera une plus grande part de l’enveloppe fermée, proportionnelle au nombre d’étudiants inscrits”, lâche-t-elle.

Il faut mentionner aussi que les autorités publiques (et à travers elles les contribuables) financent tous les étudiants. À côté des frais à charge de ces derniers (minerval, matériel,…), un étudiant coûte entre 6000 et 8000 euros par année d’études à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais sans retour possible “sur investissement” pour ceux qui s’en retournent exercer leur métier ailleurs…

La limitation des étudiants sages-femmes qui ne résident pas en Belgique se prépare

“Neuf sur dix retournent vivre dans leur pays”

“Je dirais qu’environ neuf sur dix retournent vivre dans leur pays après leurs études”, estime effectivement Isabelle Decoster, responsable presse pour l’UCLouvain. Si la présence des étudiants français lui semble globalement stable sur une dizaine d’années en médecine et sciences vétérinaires, elle relève quand même quelques niches où ils se sont rués plus récemment. Les sciences biomédicales et la pharmacie par exemple (entre 2014-2015 et l’année passée, on est passé de 139 à 267 étudiants français ; et l’effectif bleu blanc rouge a quadruplé en première année), la psychologie (de 223 à 287) ou encore la crimino (de 12 à 52) et les sciences de la motricité (de 357 à 745).

Enfin, les listings d’étudiants français par filières présentés pour 2022-2023, par une haute école qui ne souhaite pas être citée, confirment des proportions parfois étonnantes. En podologie, le groupe d’étudiants français constitue aujourd’hui la majorité de la cohorte (65 %) et il dépasse le tiers (39 %) chez les sages-femmes.

Parcoursup, c’est la plateforme d’admission dans l’enseignement supérieur en France. Elle a été mise en place en 2018 pour recueillir et gérer les « vœux d’affectation » des futurs étudiants du supérieur public dans l’Hexagone (chacun en formule autant qu’il veut).

Cette année, les dossiers devaient être confirmés pour le 6 avril. Les réponses de l’administration tomberont à partir du 1er juin. Entre-temps, gros stress.

Les postulants doivent y mentionner , entre autres, leurs résultats scolaires, une lettre de motivation, et justifier la cohérence de chaque projet.