Belgique

Le long combat d’une rescapée des attentats de Bruxelles: « J’ai compris qu’il y avait un triage et que j’étais labellisée comme rouge »

Les terroristes de Zaventem lui ont volé ses deux jambes. Mais à force de courage, de détermination, grâce à son entourage, elle a pu se relever. Pas en un jour. Elle en a témoigné lundi après-midi devant les assises qui jugent les attentats du 22 mars. D’autres victimes la suivront à la barre jusqu’à la fin du mois.

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Quand elle s’est avancée vers la barre, conduite dans sa chaise roulante, on a senti comme une peur, une retenue. Ses mains ont d’abord cherché le contact de Lucky, le chien d’accompagnement des victimes de la police de Bruxelles. Dans son discours, il n’y a pas eu de cris ou de sanglots, même si sa gorge s’est nouée et les larmes ont affleuré au coin de ses yeux.

Le 22 mars 2016, à 17 ans, cette Franco-Américaine devait rejoindre sa famille aux États-Unis pour les vacances de printemps. Elle a déposé ses bagages au comptoir d’enregistrement. Elle a téléphoné à son frère qui était en Californie. Et ce fut l’explosion.

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Elle ne se souvient pas de la bombe. “Tout ce dont je me souviens, c’est l’obscurité et le fait que j’ai décollé du sol”, a-t-elle expliqué, en anglais, devant la cour. Elle s’est réveillée au sol. “J’ai regardé au-dessus, à gauche, à droite et j’ai vu ma jambe à l’angle droit”. Elle a commencé à chercher de l’aide. Elle a vu une femme à côté d’elle, les cheveux en feu. “Par réflexe, j’ai voulu les éteindre avec mes mains”.

Les premiers intervenants sont arrivés. Ils ont pris les victimes autour d’elle. Ils ont laissé Béatrice sur place. “Je comprends maintenant que c’était un triage. J’ai compris que j’avais été labellisée comme rouge, que je n’étais plus une priorité car on ne pensait pas que je survivrais”.

Une difficile acceptation

Elle a perdu connaissance peu après avoir été secourue. Elle se réveillera un mois plus tard. Une photo, projetée devant la cour, témoigne de la gravité de ses blessures : plus de cheveux, le visage gonflé, le corps meurtri et les jambes criblées d’impacts. Elle restera quatre mois aux soins intensifs. “Je ne pouvais concevoir ce qui s’était passé, ni l’accepter”. Ses amis et sa famille l’ont soutenu.

Ses jambes ne pourront être sauvées. Elle sera amputée sous les genoux. Elle a subi opération sur opération “pour me permettre d’avoir un corps normal”. Ce seront ensuite cinq semaines en centre de réhabilitation.

J’avais 17 ans et ma vie était terminée. C’est du moins ce que je pensais.

« C’était le pire moment de ma vie”, se remémore-t-elle. Sa maman a décidé d’amener son cheval pour qu’elle retrouve goût à la vie et des raisons de lutter. “J’avais 17 ans et ma vie était terminée. C’est du moins ce que je pensais. Dès que j’ai vu mon cheval, j’ai vu qu’il attendait que j’aille mieux”.

Elle n’avait plus que la peau sur les os, ce qui compliquait sa revalidation. Elle a repris des forces. Elle s’est fixé des objectifs : terminer son année d’école. Elle a suivi une revalidation aux États-Unis. En septembre 2018, elle a voulu reprendre des études. Mais “je ne le savais pas. Je n’étais pas prête”. Elle a connu une profonde dépression. Elle a dû subir de nouvelles opérations : “Ce fut encore huit mois d’enfer”.

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Objectif : Tokyo

On a découvert qu’elle souffrait d’une infection des os, à cause des éclats métalliques dans son corps. Malgré ses blessures ouvertes, elle est remontée à cheval. “L’entraîneur m’a proposé de m’entraîner pour les Jeux paralympiques de Tokyo”, prévus en 2020. Il y eut le Covid en mars 2020. Tout a été à l’arrêt.

Elle a repris les entraînements. Elle a dû s’arrêter trois mois après une fracture de la jambe consécutive à une chute. Elle a persévéré. En juin 2021, elle a appris qu’elle était retenue dans l’équipe des sports équestres pour les Jeux de Tokyo qui se tiendront en août 2021. Elle y défendra les couleurs américaines.

« Et aujourd’hui, comment vous sentez-vous ?”, lui a demandé la présidente de la cour d’assises. “Aujourd’hui, très bien. J’ai beaucoup travaillé sur ce qui est mental, sans quoi je n’aurais pas réussi à vivre. J’ai eu beaucoup de hauts et de bas. Aujourd’hui, je suis haut”, a conclu, passant alors à la langue française, Béatrice de Lavalette.