Belgique

Enseignement : “On gaspille beaucoup d’argent pour créer des cohortes de jeunes inemployables”

”On sacrifie des générations d’élèves”

Là, c’est fait, l’état des lieux est bouclé depuis quelques semaines (lire par ailleurs). “Et quoi, à part ça ? Nous aurions souhaité des avancées concrètes de façon à ce que les mesures envisagées soient irréversibles. Or, à ce stade, il n’y a rien. Les autorités ont pris acte de l’état des lieux, mais ni celui-ci ni des mesures qui s’imposent ne font l’objet d’un accord.” L’homme se fâche. “On est en train de perdre une législature sur l’alternance. Le politique doit se réveiller !” Pour lui, l’enseignement qualifiant, la formation professionnelle, et l’alternance en particulier, doivent être portés comme un projet de société, “et pas comme celui d’un ministre ou d’un gouvernement”. Or, aujourd’hui, chaque ministre continue à travailler dans son coin, par silos. Et ne crée donc aucun effet de levier sur le taux d’emploi dont l’augmentation est pourtant un objectif capital, avec la certitude, selon lui, qu’on n’atteindra pas les taux espérés, notamment en Wallonie. “Tant qu’on ne bouge pas, on sacrifie des générations d’élèves, on gaspille beaucoup d’argent, on crée des cohortes de jeunes inemployables.”

Pour Olivier de Wasseige, ce n’est pas à l’école de tout faire. “Chacun a sa part à prendre, y compris les entreprises. Mais quelle est leur place dans l’école”, interroge-t-il ? Les rôles de l’enseignement définis dans le “Décret Mission” prévoient notamment que l’école travaille à rendre les jeunes aptes à prendre une place dans la vie économique. “Le rapprochement écoles-entreprises est prépondérant à cet égard.”

L’administrateur délégué de l’UWE reprend à son compte une série des constats et des pistes figurant dans l’État des lieux de l’enseignement qualifiant et de la formation professionnelle. Dont la nécessité de mieux informer les élèves sur les métiers, sur les secteurs, sur les entreprises de leur région. “Dès l’enseignement fondamental, insiste-t-il. Quand l’enfant s’émerveille encore.”

Huit jeunes sur dix qui quittent le secondaire sans diplôme sont issus du qualifiant

”Aucun dispositif proactif d’orientation”

Pour le patron de l’UWE, le gros souci demeure l’orientation. Olivier de Wasseige n’hésite pas à dézinguer des mentalités qui, décidément, ont la vie dure : “Alors qu’elle devrait être un moment de découverte des capacités et des aspirations des jeunes, on est dans une approche binaire de l’orientation.” Soit le jeune est “bon” dans son attitude et sa scolarité. “Alors on lui dit de continuer dans l’enseignement général jusqu’à son diplôme de fin de secondaire ; il choisira son orientation après. C’est juste une stratégie pour éviter la relégation dans le technique. Et si sa vocation, c’était justement ça ?” Soit il n’est pas “bon”. “Et c’est la relégation structurelle qui s’applique.”

Le Pacte pour un enseignement d’excellence a pour ambition de changer cela mais, entre-temps, “il n’y a aucun dispositif proactif d’orientation positive vers l’alternance”.

Olivier de Wasseige reconnaît pourtant un foisonnement d’actions. “Mais on s’y perd… En plus, on saupoudre les moyens. En Wallonie, plus de 150 ASBL sont actives en matière d’orientation. Malheureusement, pour certaines d’entre elles, seulement aux heures de bureau.”

Il est intéressant de remarquer que cette frilosité caractérise aussi les entreprises, parfois refroidies par l’idée de jeunes mal préparés. “Une piste pourrait être l’accompagnement du jeune en entreprise, suggère l’administrateur délégué. Ainsi que, pour rapprocher les mondes de l’enseignement et de l’entreprise, d’encourager la mobilité entre les deux en facilitant les reconversions voire les carrières mixtes.

”Les académies d’entreprises suppléent la formation”

Autre suggestion : prévoir, dans la formation continue des enseignants du qualifiant, des journées de formation obligatoires aux technologies. “Aujourd’hui, évoque encore le patron des patrons wallons, les académies d’entreprises qui montent en puissance suppléent la formation publique.” Concrètement, ces entreprises forment elles-mêmes les candidats sur du bon matériel et, souvent, avec possibilité d’embauche rapide.

Après la publication de l’état des lieux du secteur, Olivier de Wasseige estime qu’il y a maintenant “un terreau favorable pour entamer une véritable réflexion”. Il demande que les gouvernements concernés se mettent enfin autour de la même table pour établir au plus vite une feuille de route commune.