Belgique

Comment l’affaire Creyelman, ex-député et taupe des renseignements chinois, pourrait changer la donne en matière de réforme pénale

Les trois médias ont révélé cette information sur la base de discussions échangées – notamment par SMS – durant trois ans entre Frank Creyelman et un certain Daniel Woo, membre des services de renseignement chinois. Le Monde rapporte que c’est le 3 juillet 2019 que Frank Creyelman a reçu un premier SMS disant : “Est-ce que tu pourrais m’écrire un rapport sur Charles Michel, à propos de ses opinions politiques, sa personnalité, ses hobbys et son avis sur notre pays [la Chine] ?” L’ex-député Belang lui a répondu trois jours plus tard, expliquant notamment que Charles Michel aurait “acheté” ses nouvelles fonctions, qu’“il adore l’argent”, mais qu’il “n’est pas ami avec la Chine ou la Russie”.

L’agent des renseignements chinois a également sollicité Frank Creyelman pour influencer certains individus ou perturber certains événements, dans l’intérêt de la Chine. De la situation des Ouïghours au développement du Covid-19, tout ce qui pouvait concerner, de près ou de loin, les autorités chinoises, était manifestement au cœur des échanges.

Que risque l’ancien député ? Légalement, pas grand-chose. Car le Code pénal belge est encore bien trop flou pour permettre de véritables poursuites pénales à l’encontre de personnes suspectées de livrer des informations confidentielles à des puissances étrangères. Mais l’éclatement de cette affaire pourrait changer la donne.

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Le cas Oswald G.

Aujourd’hui, les notions d’ingérence et d’espionnage sont en effet définies, dans le Code pénal, selon les termes remontant à l’Entre-deux-guerres. Une terminologie vieillotte, restrictive et, surtout, applicable uniquement en temps de guerre, ce qui rend impossible toute poursuite pénale. La Belgique a d’ailleurs déjà été confrontée à ce frein, il y a peu, dans une affaire impliquant un certain Oswald G., ancien consul belge suspecté d’avoir collaboré avec les services secrets russes. Faute d’une législation adaptée pour le poursuivre, le diplomate belge suspecté d’espionnage avait été condamné, en 2021, mais pour d’autres infractions (notamment falsification de documents).

Vincent Van Quickenborne (Open VLD), alors ministre de la Justice, avait expliqué que la réforme du Code pénal amorcée permettrait, à l’avenir, de durcir le ton à l’égard de personnages comme Oswald G. Ce Code pénal réformé doit notamment définir plus clairement les faits d’espionnage ou d’ingérence. Ainsi, le fait d’accepter une aide étrangère pour saper les intérêts nationaux devient clairement punissable par la loi, ce qui n’est actuellement pas véritablement le cas. Même chose pour le fait de transmettre un secret d’État à un État (comme la Chine) ou un groupe armé (comme Daesh). Détail important : ces dispositions pénales sont applicables en tout temps, et non plus exclusivement en temps de guerre (comme c’était inscrit dans l’ancien Code Pénal).

Problème. Le nouveau Code pénal ne sera pas d’application avant 2026 (si tout va bien). Mais l’affaire Creyelman semble avoir accéléré le mouvement. En effet, La Libre a appris, à bonnes sources, que le ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt (Open VLD) a remis le sujet sur la table, mercredi, en kern. Objectif : permettre aux nouvelles dispositions concernant l’espionnage et l’ingérence inscrits dans le Code pénal réformé, d’être appliquées au plus vite.

Steven Creyelman, le frère de Frank, également dans le viseur

Selon des informations du Standaard, le Premier ministre Alexander De Croo souhaite que Steven Creyelman (Vlaams Belang), le frère de Frank Creyelman, soit exclu des fonctions actuellement occupées. À savoir président de la commission des Achats militaires et membre de la commission de suivi des opérations militaires à l’étranger… “Pour moi, mieux vaut prévenir que guérir”, a déclaré M. De Croo, mais la décision finale revient à la Chambre.

Il était prévu que ce mercredi, la conférence des présidents de la Chambre demande à la Sûreté de l’État de réaliser en urgence une analyse sur le cas de Steven Creyelman. Les deux commissions en question se réunissent à huis clos et examinent des informations confidentielles. Or, des médias étrangers ont révélé la semaine passée les liens entre le frère du député – Frank – et un agent des renseignements chinois. Des échanges de message et la comparaison de questions parlementaires posées à la Chambre par M. Creyelman et celles d’un autre député d’extrême droite en Allemagne à propos de manifestations à Hong Kong ont semé le doute sur l’influence qu’aurait pu subir Steven Creyelman.

Le groupe Écolo-Groen a écrit vendredi à la présidente de la Chambre pour s’inquiéter de la situation, rejoint par le groupe PS. À leurs yeux, tant que la lumière n’est pas faite, l’intéressé ne peut plus participer aux travaux desdites commissions.