Belgique

Casting pour le 16, rue de la Loi : c’est déjà l’embouteillage des talents

En 2014, c’est le CD&V Kris Peeters qui devait s’emparer du “16”. Mais, dans le sprint final qui a permis à la majorité “suédoise” de voir le jour, les chrétiens-démocrates flamands ont renoncé : soudain, ils exigeaient le poste de commissaire européen… De subtils équilibres ont alors fait basculer la fonction de Premier ministre dans l’escarcelle du MR. Charles Michel deviendra le patron de la nouvelle coalition fédérale.

Devenir Premier ministre… Une chance inespérée dans la carrière d’un élu, mais également une gageure pour la formation qui le fournit. Diriger le gouvernement fédéral a un coût politique élevé. Aux élections de 2019, après quatre ans de gestion du pouvoir aux côtés de la N-VA, le MR avait perdu six sièges à la Chambre. C’était une défaite. Le scrutin de 2024 devrait confirmer cette implacable mécanique : l’Open VLD d’Alexander De Croo va probablement souffrir. Les libéraux flamands pourraient perdre la moitié de leurs députés fédéraux, selon les derniers sondages.

Pourtant, le 16, rue de la Loi reste ouvertement convoité par certains, plus discrètement par d’autres. À six mois des élections, quelques noms se détachent d’ores et déjà. La Libre a examiné les forces et les faiblesses de chacun.

Paul Magnette : les regrets sont éternels

Premier octobre 2020. Invité sur LN24 le jour de la prestation de serment des ministres du gouvernement De Croo, le président du PS avait reconnu ressentir “une pointe de regret”. Paul Magnette avait fait “un pas de côté dans l’intérêt du pays”. Il était convaincu qu’après trois Premiers ministres francophone (Elio Di Rupo, Charles Michel, Sophie Wilmès), il fallait installer un Flamand au “16”. Depuis ce moment douloureux, le temps a fait son œuvre et le patron des socialistes ne s’interdit plus rien. En début d’année, il a reconnu son appétit pour le poste de Premier ministre : “En 2024, si la famille socialiste arrive en tête et que le PS est devant (devant Vooruit, NdlR), je ne déclinerai pas la responsabilité, j’assumerai”. Voilà qui clarifie les choses. Mais la déchéance de Conner Rousseau, ex-président des socialistes flamands, aura peut-être des conséquences électorales négatives pour Vooruit. Au point d’hypothéquer les chances du candidat Premier ministre du PS ?

Paul Magnette:"Sur le terrain local, l’équation devient vraiment compliquée".
Paul Magnette, le président du PS. ©ÉdA-Vincent Lorent

La démission de Conner Rousseau rebat les cartes de la politique flamande… et fédérale

Sophie Wilmès : l’atour majeur du MR

Aspiré par le haut vers la présidence du Conseil européen, Charles Michel avait remis les clefs du 16, rue de la Loi à Sophie Wilmès. Le 27 octobre 2019, la libérale est devenue la première femme à occuper la fonction de Premier ministre en Belgique. Il ne s’agissait que d’un intérim, mais la crise Covid a transformé son passage au “16” en une séquence historique. Lors de la mise en place de la Vivaldi, Sophie Wilmès a pris la tête de la diplomatie belge. Pour des raisons familiales, elle renoncera toutefois au portefeuille des Affaires étrangères et retournera sur les bancs de la Chambre des représentants. La campagne électorale, dont on sent déjà les premiers soubresauts, va sans doute la replacer au centre du jeu politique. Sophie Wilmès sera tête de liste pour la liste fédérale bruxelloise. Et si la famille libérale était en position de force dans une prochaine coalition ? L’ancienne Première ministre, toujours très populaire, pourrait reprendre ses quartiers au “16”. Cette piste est évoquée en coulisses par certains fins observateurs…

MR's Sophie Wilmes delivers a speech at the party programme congress'Belgium 2030' of Frenchspeaking liberal party MR (Mouvement Reformateur), in Wavre (Waver), Sunday 22 October 2023. BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Sophie Wilmès (MR), ancienne Première ministre, ancienne ministre des Affaires étrangères.

Portrait : Sophie Wilmès, la vraie Première

Frank Vandenbroucke : un homme d’État très cassant

Le vice-Premier ministre de Vooruit à qui on prête une intelligence supérieure cumule les qualités qui font les hommes d’État. Très expérimenté, il connaît ses dossiers sur le bout des doigts. Frank Vandenbroucke est aussi capable de nouer des compromis. Le jeune Conner Rousseau ayant sabordé son propre destin, le chef de file des socialistes flamands au sein du gouvernement De Croo pourrait, si les résultats électoraux le permettaient, assumer la plus haute fonction ministérielle. Imaginons que la prochaine majorité unisse les libéraux, les socialistes, la N-VA, etc. : Frank Vandenbroucke, Flamand mais parfait bilingue, de gauche mais partisan d’une gestion rigoureuse, pourrait satisfaire les différents partenaires. Toutefois, le vice-Premier rejette cette perspective : “Durant ma carrière, j’ai toujours été, au mieux, le numéro 2 et cela me plaît bien”, confiait-il à La Libre en juillet. Par ailleurs, son attitude parfois très dure, voire cassante – et même violente – lors des kern jette le doute sur sa capacité à apaiser les inévitables tensions relationnelles qui secouent à intervalles réguliers un gouvernement.

Vice-prime minister and Public Health and Social Affairs minister Frank Vandenbroucke pictured ahead of a press conference following the negotiations for the 2024 budget of the Federal Government, Monday 09 October 2023 in Brussel. BELGA PHOTO JONAS ROOSENS
Frank Vandebroucke (Vooruit), vice-Premier ministre et ministre des Affaires sociales au sein du gouvernement De Croo.

Frank Vandenbroucke, la revanche d’un ascète (Portrait)

Alexander De Croo : tout dépendra de l’Open VLD

L’actuel Premier ministre voudrait rempiler en 2024. Idéalement, il rêve d’être celui qui aura remis la Belgique sur les rails de la croissance et du bien-être après la pandémie, après la crise énergétique… À la fin de la prochaine législature, on approchera de la date du bicentenaire de la Belgique, en 2030. Tout un symbole. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. On l’a écrit : les chances d’Alexander De Croo sont plombées par la mauvaise santé de son parti, l’Open VLD. Si les sondages se confirment, en juin 2024, les libéraux flamands occuperont la dernière place des partis au nord du pays. Dans ces conditions, il leur sera difficile de réclamer le 16, rue de la Loi. Alexander De Croo le sait bien et conditionne sa candidature à un score honorable de sa formation politique. Par ailleurs, on ne peut exclure qu’il s’envole vers d’autres cieux si un poste international devait se libérer. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas sous-estimer la capacité de cet homme impassible et secret à créer la surprise en dernière minute…

TEL AVIV, ISRAEL -NOVEMBER 23 : Alexander De Croo (Open Vld), Prime Minister talking to the press at the Knesset (Israeli Parliament) pictured on November 23, 2023 in Tel Aviv, ISRAEL, 23/11/2023 ( Photo by Philip Reynaers / Photonews
Alexander De Croo, l’actuel Premier ministre, n’exclut pas de rester au 16, rue de la Loi, après les élections de 2024. Mais…

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Alexander De Croo à La Libre : « La période des grandes réformes institutionnelles, honnêtement, c’est du passé »

Bart De Wever : seulement si les astres s’alignent

Le président de la N-VA veut nouer un accord avec le PS afin de réformer les institutions belges à la mode nationaliste. Après les élections, il imagine mettre en place un gouvernement chargé de détricoter l’État fédéral. En mai, il avait détaillé son plan dans la presse nordiste : “Vous n’occupez que les postes de vice-Premiers ministres et vous vous mettez d’accord sur quelques objectifs minimaux, notamment budgétaires. Pendant ce temps, vous reconstruisez le pays en profondeur, avec un virage confédéral”. Dans ces conditions seulement, Bart De Wever pourrait envisager de devenir Premier ministre. Piloter depuis le “16” une réforme de l’État donnant plus de pouvoir à la Flandre constituerait le point culminant du parcours du bourgmestre d’Anvers. Mais l’arithmétique est cruelle : pour réviser la Constitution, deux tiers des voix sont nécessaires au parlement… Or, les différents partis qui y siègent s’opposent sur les contours futurs de nos institutions. Par exemple, les bleus et les verts veulent renforcer le fédéralisme. Une longue période en affaires courantes pourrait toutefois les contraindre à un compromis avec les flamingants afin de “débloquer” le pays.

Bart De Wever déjà en campagne?
Bart De Wever, président de la N-VA. Le futur chef d’un gouvernement de réformes institutionnelles ? ©-Belga

Bart De Wever à La Libre : « Si vous ne m’aimez pas, regardez qui viendra après moi… »

Georges-Louis Bouchez : une ambition stratégique

Le chef du MR applique toujours la même recette destinée à le galvaniser : viser la plus haute fonction, entrer en compétition avec les meilleurs. Lorsqu’il n’était qu’un élu local à Mons, il lorgnait le fauteuil du bourgmestre. Symboliquement, il se hissait ainsi à la hauteur d’Elio Di Rupo, l’un de ses modèles. Désormais président de parti, c’est la fonction de Premier ministre qu’il brigue. Il se fait cependant plus discret à ce sujet : Sophie Wilmès aura la priorité si le MR devait récupérer le “16”. Autre (gros) problème pour “GLB” : si les libéraux francophones figurent dans la prochaine coalition, les présidents des autres partis ne voudront pas donner les clefs du gouvernement à une personnalité aussi offensive. Depuis qu’il a été élu à la présidence libérale, Georges-Louis Bouchez n’a épargné personne. N’écartons tout de même pas trop vite son nom : s’il manie l’art de la polémique, il sait aussi se réconcilier avec ses adversaires. Durant l’été 2020, les bases de la majorité Vivaldi ont été constituées grâce à un accord inattendu entre la famille écologiste et la famille libérale.

MR chairman Georges-Louis Bouchez gives a thumbs up as he delivers a speech at the party programme congress'Belgium 2030' of Frenchspeaking liberal party MR (Mouvement Reformateur), in Wavre (Waver), Sunday 22 October 2023. BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Georges-Louis Bouchez, le président du MR, a une stratégie : toujours viser la fonction la plus importante et profiter de l’aspiration politique créée par cette ambition.

Portrait de Georges-Louis Bouchez lors de son arrivée à la tête du MR : des origines modestes, Di Rupo comme modèle, le syndrome Whatsapp…

La surprise que personne n’avait vu venir…

La politique contient une part importante d’imprévus et il faut garder à l’esprit plusieurs facteurs importants. Charles Michel va quitter la présidence du Conseil européen. Il chercherait à se recaser dans une fonction internationale. Mais, dit-on, ses perspectives se resserrent. Et s’il revenait en politique belge ? Ce n’est pas le plus probable. L’ancien Premier ministre et ancien président du MR a cependant souvent déjoué les pronostics. La même réflexion peut être appliquée à Didier Reynders : il compte encore de nombreux supporters chez les libéraux. Son statut de sage de la politique belge pourrait jouer en sa faveur. En particulier si la N-VA – avec laquelle il avait tenté de mettre sur pied une coalition Orange bleue en 2007 – revenait au pouvoir au fédéral. Autre hypothèse : et si, dans le gouvernement fédéral, le CD&V pouvait placer l’un des siens au 16, rue de la Loi ? Le président des chrétiens-démocrates, Sammy Mahdi, pourrait alors se faire un cadeau à lui-même et prendre la suite des grands noms de son parti : Martens, Dehaene, Van Rompuy…

Mahdi et Bouchez, le possible axe politique de deux idéologues