Tunisie

Pour que l’erreur ne triomphe pas : tendre plaidoyer pour la Commission tunisienne d’analyses financières – Actualités Tunisie Focus

« Les actuels et futurs responsables de ce pays doivent se renseigner sur les prérogatives et les fonctions des institutions de l’État avant d’assumer les hautes responsabilités et se prononcer sans connaissance de cause.
À bon entendeur! »  : Moez Joudi

L’incompréhension autour du rôle de la Commission tunisienne d’analyses financières (Ctaf), longtemps entretenue dans la sphère politique et les médias, gagne aujourd’hui la plus haute autorité de l’État. La remontrance est sans modération et risque, l’histoire récente aidant, de faire mal. « La Ctaf ne serait pas en train d’accomplir sa mission convenablement. Elle aurait dû vérifier la provenance de l’argent objet des transactions effectuées vers le gouvernorat de Sfax au profit des immigrants africains à travers la Poste tunisienne (33 milliards de millimes) durant la période allant du 1er janvier au 1er juin. Elle ne vérifierait pas non plus les financements reçus par certaines associations. Et beaucoup d’argent provenant de l’étranger est injecté dans ces associations, mais il est par la suite transféré à des partis politiques. Il faut qu’il y ait un contrôle sur cet argent provenant de l’étranger ».

La vérité est toutefois, totalement différente, car la Ctaf n’assume aucune responsabilité au titre de ces reproches pour cette raison pourtant si simple qu’elle n’a reçu des lois de la République aucune compétence, aucune prérogative, aucun pouvoir ni pour gérer les opérations ou les transactions financières qui se déroulent sur le territoire tunisien, ni pour les contrôler. Les juristes en général et les publicistes en particulier, n’ignorent pas en effet, que l’État et l’ensemble de ses émanations sont tous soumis au principe de compétence. Ce principe fondateur est si important qu’il relève de l’ordre public et que sa violation encourt la punition de la part soit du juge constitutionnel, soit du juge de l’excès de pouvoir, selon le cas. C’est la compétence, ainsi définie par le texte qui la fonde, qui détermine si la personne publique attributaire est responsable ou non.

Qu’est-ce-que la Ctaf et quelles sont ses compétences ?

La Ctaf est une cellule de renseignements financiers (CRF), au sens des normes internationales relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA/FT). Suivant la Recommandation 29 du Groupe d’Action Financière (GAFI), le rôle essentiel d’une CRF réside dans « la réception et l’analyse des déclarations d’opérations suspectes et des autres informations concernant le blanchiment de capitaux, les infractions sous-jacentes associées et le financement du terrorisme, et la dissémination du résultat de cette analyse ».

En tant que CRF, la Ctaf n’est pas, il est si clair, une plateforme où se déroulent les opérations financières et n’a de ce seul fait, aucun moyen pour détecter les irrégularités affectant ces opérations.

La Ctaf n’est pas non plus une autorité de contrôle sur les institutions financières (banques, compagnies d’assurance, Poste tunisienne, associations, etc.), car ce rôle est confié par la loi à des autorités désignées : la BCT, le CGA, le CMF, le ministère en charge des communications, etc.).

La Ctaf n’intervient que lorsqu’elle est saisie d’une opération ou transaction autour de laquelle plane une suspicion et que cette suspicion porte sur un prétendu blanchiment d’argent ou un prétendu financement du terrorisme.

Les personnes habilitées à déclarer les soupçons à la Ctaf sont limitativement énumérées par la loi. Il s’agit des institutions financières qui s’adonnent aux commerces de banque, de bourse ou d’assurance et de certaines entreprises et professions non-financières désignées par les normes internationales, en l’occurrence, les agences immobilières, les casinos, les négociants de métaux ou d’objets précieux et dans certaines situations, les professions du droit et du chiffre.

La Ctaf ne s’autosaisit pas des comportements qui pourraient nourrir un soupçon de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, car comme expliqué plus haut, faute d’en avoir les moyens, la loi ne l’y a pas habilité.

Plus concrètement, pour ce qui concerne d’abord, les transferts en provenance des pays d’Afrique subsaharienne au profit des ressortissants de ces pays résidant en Tunisie, c’est la Poste tunisienne qui devrait alerter la Ctaf des opérations que ses services pourraient y déceler un soupçon au sens de la loi. Les considérations sécuritaires ou autres inhérentes à la présence de ces personnes sur le territoire national ne sont pas du regard de la Poste tunisienne, un fonds de commerce somme toute, ni de la Ctaf, faute de saisine et d’auto-saisine.

Sur le fond, les transferts en provenance de l’Afrique subsaharienne, ne semblent pas pouvoir nourrir chez la Poste tunisienne, ni du reste, chez les banques de la place, de soupçon de blanchiment d’argent, eu égard en particulier, au fait que ces transferts portent sur des sommes d’argent de faible montant, s’opèrent en monnaie écrite et donc traçable, et sont diligentés par des institutions financières initiées au devoir de vigilance, relatif à la clientèle et plus généralement à l’ensemble des mesures internes en rapport avec la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Maintenant, pour ce qui concerne le financement des partis politiques à travers les associations à but non lucratif (OBNL), le constat également est que la Ctaf ne peut intervenir que si elle est alertée par les personnes déclarantes sur des soupçons, cette fois-ci, de financement du terrorisme. Le plus souvent en effet, on ne blanchit pas l’argent en abusant des OBNL, mais on les utilise plutôt pour financer le terrorisme ou pour commettre d’autres infractions financières. Ce n’est pas d’ailleurs un hasard que la norme internationale relative aux OBNL ne figure pas parmi les fameuses quarante Recommandations du GAFI dédiées à la lutte contre le blanchiment d’argent, mais plutôt parmi les neuf Recommandations dites spéciales, intervenues dans la foulée des évènements du 11 septembre 2001.

Les risques inhérents aux OBNL sont attribuables beaucoup plus à l’inadéquation du dispositif de contrôle mis en place au regard des enjeux nés en 2011 de l’abandon du régime juridique de l’autorisation et la consécration de celui de la déclaration. La Tunisie a d’ailleurs été épinglée par le GAFI, à cause entre-autres de défaillances stratégiques en rapport avec les OBNL.

Pour toutes ces raisons, la Ctaf doit plaider non coupable. Mieux, elle est en droit d’opposer un parcours, le sien, globalement honorable, qui l’a conduit notamment, à intégrer le « groupe Egmont » des cellules de renseignements financiers, une véritable reconnaissance internationale de sa conformité aux critères universels posés dans le domaine et à améliorer sensiblement les notations de la Tunisie au titre de son dispositif LBA/FT, aujourd’hui, l’un des meilleurs au monde au plan de sa conformité au standard international.

Samir Brahimi , premier Secrétaire Général de la CTAF à sa création et ex-Président du GAFI-Mena ( Groupe d’Action Financière Moyen-Orient/Afrique du Nord )