Suisse

Des milliers d’enfants ont été adoptés illégalement par des Suisses

Keystone / Yoshiko Kusano

Des enfants en provenance de dix pays ont été adoptés de manière frauduleuse entre les années 1970 et 1990. Les autorités suisses étaient au courant.

Ce contenu a été publié le 22 décembre 2023 – 07:08




Le Bureau d’aide à la recherche des origines (Baro)Lien externe constate que ces situations peuvent causer de grandes souffrances pour les personnes adoptées et leurs familles. Le point avec sa cofondatrice Sitara Chamot, professionnelle de l’adoption et elle-même adoptée.

Le Courrier: Qu’est ce qui vous marque dans ce rapport?

Sitara Chamot: Ce sont malheureusement des pratiques que nous connaissions déjà. Il est très rare qu’un enfant adopté soit orphelin. La plupart ont été séparés de leurs familles, pour des raisons très variables. Cela arrive en contexte de guerres, de pauvreté ou à cause de la condition des femmes par exemple.

Certains parents malades ou sans emploi ont pensé qu’ils allaient confier leur enfant de manière provisoire. Dans d’autres cas, des intermédiaires ont menti, en affirmant qu’ils allaient scolariser leurs enfants en ville. Puis un trafic s’est mis en place. Mais il ne faut pas faire d’amalgame et penser que cela concerne toutes les adoptions. Il arrive aussi qu’elles se soient faites de manière légale.

«Dans l’imaginaire collectif, on se disait que l’enfant aurait une meilleure vie en Suisse»

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Les autorités étaient au courant d’agissements illégaux et ont laissé faire… Comment l’expliquer?

A ce moment-là, la défense de l’intérêt de l’enfant était peu considérée. Dans l’imaginaire collectif, qui est issu d’un héritage colonial, on se disait que l’enfant aurait une meilleure vie en Suisse. Il y avait aussi l’idée d’un «droit à la famille» pour les parents en désir d’enfants. On faisait plaisir aux parents adoptifs, on sauvait des enfants. Les autorités savaient qu’il y avait des problèmes administratifs mais se disaient qu’une fois l’enfant arrivé en Suisse, tout serait résolu pour lui.

Des critères stricts d’adoption existaient pourtant: le consentement de la famille d’origine ou le statut d’orphelin. Mais cela ne faisait pas le poids. On a assisté également à un éclatement des responsabilités des autorités. Chaque service avait une petite tâche sans voir l’ensemble. Il y a eu des dénonciations, dans la presse notamment, mais les autorités n’ont pas toujours réagi.

Quel impact cette étude peut-elle avoir sur les personnes adoptées aujourd’hui adultes?

Cela peut être extrêmement douloureux et je ne suis pas sûre que les autorités le mesurent. Être mis face à ces révélations, cela signifie soupçonner d’être issu d’un trafic d’enfants et se sentir comme une marchandise. Le rapport peut aussi créer une demande de recherche de ses origines de la part de personnes qui n’étaient a priori pas intéressées. Cela demande un accompagnement. Il est extrêmement éprouvant de se replonger dans son dossier et les dossiers falsifiés compliquent les recherches.

Le Conseil fédéral a exprimé ses regrets. Est-ce suffisant?

Oui, s’il met en place un accompagnement pour les adoptés adultes. Après la parution du rapport sur le Sri Lanka en 2020, Berne a subventionné une association d’adoptés de ce pays. Que va-t-il faire pour les 8000 personnes potentiellement concernées par le nouveau rapport, qui chercheront des réponses?

Il affirme dans son communiqué qu’il appartient aux cantons de soutenir les personnes concernées…

Il faut une action rapide! Parce que c’est aujourd’hui que le besoin existe. La grande majorité des adoptés entament des recherches de leurs origines vers 30-35 ans. Le canton de Vaud délègue l’accompagnement à notre association mais, dans certains cantons, il n’y a toujours pas de services spécialisés. La Confédération dit réfléchir à une solution, mais cela peut prendre encore du temps. Il faut que les personnes concernées par le rapport puissent être rapidement accueillies dans leurs questionnements.

L’adoption est-elle toujours risquée aujourd’hui?

Oui, mais si les parents adoptifs travaillent avec des intermédiaires agréés, surveillés par la Confédération, le risque est quasiment inexistant. Un groupe d’experts mis en place par le Conseil fédéral est chargé de réfléchir à la réforme de la loi sur l’adoption. Avec la possibilité de renforcer la surveillance et de limiter la coopération à certains pays sûrs ou d’abolir complètement l’adoption internationale. Nous attendons une réponse pour l’année prochaine.

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