Sport

La descente aux enfers de Lucas Pouille: ”Je dormais une heure par nuit et je buvais seul”

”Je m’entraînais en mars, avril l’an dernier. Avec mes coachs, on décide de faire quatre grosses semaines, on enchaîne les heures. Sur une série de coups droits, je sens comme un coup de couteau dans les côtes. Le lendemain, j’ai du mal à me lever. On va faire un scanner : fracture. Là, je me dis : ‘Si je me fracture une côte sur un coup droit, je ne suis plus fait pour ça.’ À partir de là, j’ai commencé à voir tout en noir. Je me mets minable à l’entraînement pendant des semaines pour qu’au moment où je suis prêt, cela pète. Je me retrouve à l’hôpital de Nice pendant quinze jours à faire du caisson hyperbare pour m’aider à guérir plus vite. Je suis entouré de gens malades, mourants, des cancers en phase terminale. Et moi je suis là pour ma petite fracture à la côte. Cela peut t’aider à relativiser, mais, moi, cela me foutait le cafard. J’ai commencé à avoir un côté plus sombre et à entrer dans une dépression qui m’a amené, après Roland-Garros, en Angleterre, à dormir une heure par nuit et à boire seul.”

guillement

« Je pleurais dans ma chambre après chaque défaite. »

Un mal-être qui ne pouvait pas permettre au Français de vivre normalement de son métier, de ce sport qui était sa passion : “Impossible de fermer l’œil. Je rentrais dans ma chambre et je regardais le plafond. Je m’enfonçais dans un truc glauque. Je m’enfermais, je n’en parlais à personne. J’étais dans une sale phase. Et j’ai pris la décision de dire stop. Sinon, j’aurais fini à Sainte-Anne, chez les fous. Pour ma santé mentale, il fallait arrêter. J’allais prendre le mur. Vous trouvez ça normal qu’à 28 ans, alors que je suis père de famille, je pleurais tous les soirs dans ma chambre d’hôtel à chaque fois que je perdais un match ?”

Pendant les trois ans où il alternait les blessures et les tentatives de revenir à son meilleur niveau tout en voyant son classement mondial dégringoler, Pouille s’est posé de nombreuses questions et n’a pas toujours eu le bon comportement, comme il l’a compris aujourd’hui. “Je n’acceptais pas de devoir repasser par les Challengers, les qualifs, etc. Je pense que l’ego joue beaucoup. L’impatience de revenir au plus haut niveau. J’ai eu la chance de vivre de grandes émotions, de disputer les plus grands tournois. Passer de cela à se faire accrocher par le 300e mondial au premier tour d’un Challenger, bah, si on n’est pas en phase avec ça, on ne peut pas gagner. Je n’avais pas l’humilité nécessaire et ce n’est pas agréable de se dire que tu manques d’humilité. La fatigue mentale, les blessures, reprendre un coup de massue sur la tête et repartir encore à zéro… C’était dur. Aujourd’hui, je l’accepte.”

guillement

« Depuis trois ans, je ne fais que perdre de l’argent. »

À savoir qu’en plus des échecs sportifs et des désillusions, les finances ne suivaient plus avec l’absence de résultats et les sponsors qui ne prolongent plus les contrats. “J’avais pris l’habitude de voyager avec du monde, dans de bonnes conditions. Cela coûtait cher, mais je gagnais beaucoup d’argent. Depuis trois ans, je ne fais que perdre de l’argent. Le gros changement est au niveau des revenus et du coût de la vie. Pour aller à Houston, par exemple, le vol en business c’est 6 000 euros. Je ne vais pas le prendre, je vais essayer de me faire surclasser. Forcément, ton train de vie change. De demi-finale de Grand Chelem à premier tour de Challenger, il y a quelques zéros en moins sur les chèques.”

Après un été 2022 en famille à se vider la tête et à penser à sa reconversion, Lucas Pouille va finalement reprendre la raquette en novembre : “Je dois venir à Paris pendant le tournoi de Bercy. Dix jours avant, Pierre-Hugues Herbert m’appelle pour me proposer de jouer avec lui. On se retrouve sur un court et pour la première fois depuis un bon moment, je prends beaucoup de plaisir. Je ne m’entraîne pas, je joue au tennis. Puis Mathias Bourgue me propose de jouer. À Bercy, je croise la presse. On m’interroge sur les Jeux olympiques que je n’ai jamais disputés. Cela me travaille. Et en partant de Bercy, je dis à ma femme : ‘Je reprends le tennis.’ Elle était aux anges. Faire les Jeux à Paris, c’est l’expérience d’une vie. J’ai envie d’essayer.”

Redescendu 459e mondial, Lucas Pouille sera loin dans les semaines qui viennent des strass et paillettes des Masters 1000 de Monte-Carlo, Madrid ou Rome. C’est lors d’une tournée d’un mois aux États-Unis (Houston, Sarasota, Tallahassee et Savannah) qu’il tentera de se relancer.