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Le rapace et les corbeaux – Actualités Tunisie Focus

Des moutons s’insurgèrent un jour contre leur berger. Ils avaient marre de recevoir des coups sur la tête avec son gros gourdin . Néanmoins, le berger savait bien les faire paître et les engraisser , il savait aussi assurer leur sécurité en plantant, un peu partout dans la prairie , des épouvantails qui dissuadaient les prédateurs de s’approcher du Cheptel .

Mais le berger avait ce défaut majeur de vouloir tout verrouiller , tout fermer à tel point que les moutons se sentirent à l’étroit dans leur prairie . Ils se rassemblèrent donc et prirent d’assaut la cabane du berger , ils l’encerclèrent de tous les côtés et le berger qu’ils redoutaient tant prit la fuite les laissant sans maître , eux qui étaient longtemps dressés pour la soumission .

Effarés et ne sachant que faire quelques moutons firent appel à des corbeaux pour leur demander conseil . Les nouveaux venus n’ont pas eu trop de mal à assujettir le troupeau puisque la plupart des moutons les trouvaient pieux , gentils et désintéressés .

Mais au bout de quelques années les corbeaux commencèrent à s’entre-tuer, ils étaient affamés et le butin était tellement alléchant qu’ils en oublièrent toute piété et toute retenue .

Leurs combats , leur chahut et leurs luttes ont transformé la prairie en un vaste terrain en friche . Ce qui était un paradis se transforma en ruine sous les coups des corbeaux hurleurs . Les moutons sentirent alors la faim , le froid et l’insécurité ; ils se réunirent pour chercher une issue qui les libérerait de l’emprise des corbeaux .

Pendant ce temps , il y’avait un faucon tapi dans l’ombre , il observait la scène de loin avec ses yeux de fauve , il sentit son heure venue.

Il fendit les nuages avec ses coups de bec et ses battements d’ailes , il atterrit ensuite sur un rocher surplombant la grande prairie. Le torse bombé et la tête haute , il proclama :  » oh !!! Peuple qui veut …..frou frou …Brave peuple de moutons ! C’est moi le libérateur , c’est moi le sauveur. …frou frou …

Je les ai vus ces maudits corbeaux qui complotent dans les chambres obscures. Frou …frou …

Moi , le propre , l’intègre, le correct parmi les corrects . Entendez-moi bien quand je m’adresse à vous avec mon Arabe poussiéreux qui va vous foutre des crampes au cerveau et des coliques au ventre. .. Froufrou….Même si vous ne pigez rien à mon discours, faites quand-même semblant…. froufrou…

C’est moi qui va vous libérer des corbeaux insatiables. Puis , je vais vous réserver un aller simple vers le paradis. Froufrou….Suivez-moi et ne pensez plus aux autres . Ceux-là sont des traîtres à la solde des étrangers, ils ont déformé l’islam, religion de vos ancêtres. Je vous mènerai vers le vrai Islam , et je ferai de vous les créatures les plus aimées d’Allah…. froufrou…. » .

Impressionnés, les moutons ont cru trouver enfin leur libérateur après tant de supplices.
Ceux parmi eux qui étaient nostalgiques de la tyrannie et de la servitude, attribuérent au faucon des qualités qu’il n’avait pas.

Pour leur en mettre pleins les yeux, le faucon faisait semblant de s’en prendre aux corbeaux , et à chaque fois qu’il en attrapait un , il le relâchait tout de suite , car, entre rapaces on ne se marche pas sur les pieds .

Les moutons sont maintenant stressés, agités, inquiets , ne comprenant rien au cirque qui se déroule au-dessus de leurs têtes ; et de guerre lasse , ils confièrent leur destin au faucon encouragés en cela par le croassement des corbeaux et le hurlement des chouettes.

Le faucon aménagea en secret un enclos pour y entasser le troupeau , il convia deux maçons connus pour leur expertise dans la confection des pièges à rats , puis il les désavoua et sortit un plan échafaudé par des charlatans que le faucon fréquentait lorsqu’il était encore à l’affût , là-haut dans le ciel.

L’enclos était entouré de hautes palissades gardées par des chiens féroces spécialement entraînés pour la répression des bovins et des moutons.

Le troupeau entra par vagues successives sous les cris du faucon :  » Entrez braves moutons dans l’enceinte de votre demeure céleste. Votre choix est libre et votre volonté souveraine !! Vous y serez en sécurité et les corbeaux ne viendront plus voler votre nourriture. Vous serez purifiés comme l’ont été vos anciens, ceux qui vous ont légués les livres jaunes et la promesse d’un paradis où coulent le vin et le miel …. froufrou…. froufrou… » .

À l’intérieur de l’enclos , l’herbe se fit vite rare et l’eau devint infecte. Les maladies se propagèrent et la faim extermina presque tous les animaux hormis quelques brebis suivies de leurs petits . Celles-ci trompèrent la vigilance des chiens et émigrèrent vers d’autres prairies où le ciel était plus clément et l’herbe plus abondante.

Le faucon se tenait perché sur la palissade entouré des corbeaux de malheur. Ils regardèrent les moutons périr les uns après les autres , mêmes les gros béliers péteurs qui furent les premiers à encourager leurs frères à aller vers leur perte , ces moutons de Panurge qui se prenaient pour des chefs , ils se disaient  » l’élite » ; eux aussi crevérent et leurs courbettes envers le faucon ne leur furent d’aucun secours.

La prairie est désormais isolée du monde, personne n’y entre et personne n’en sort .

Et comme un malheur ne vient jamais seul , une épidémie se propagea tel un feu de paille, les cadavres jonchèrent le sol de l’enclos . Quelques corps commencèrent déjà à se pétrifier avant qu’un orage soudain ne vienne envelopper la prairie dans le noir et dans l’oubli.

« Décidément, ces moutons ne sont pas à la hauteur du grand destin auquel je les ai conviés. Ils ont préféré mourir bêtement sans attendre le jour de la délivrance ultime  » , expliqua le faucon.

Il déploya ensuite ses ailes et sans regarder en arrière, il partit à la recherche d’un autre troupeau qui serait prêt à croire ses prophéties . Les corbeaux le suivirent dans un affreux battement d’ailes.
Frou Frou…Frou frou !!!

Ben Ahmed Sobhi