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« Il y’a un sérieux risque de défaut pour la Tunisie et le Pakistan » – Actualités Tunisie Focus

Les pays en développement ont dépensé 445 milliards de dollars pour rembourser leur dette l’année dernière. Redoutez-vous un chiffre plus élevé cette année ?

La réponse est oui. En 2022, si les pays en développement ont consacré près de 450 milliards pour rembourser leur dette, ce chiffre dépassera vraisemblablement plus de 500 milliards cette année, soit une hausse de 10 % sur un an. Pour les seuls pays à faible revenu qui n’ont pas accès aux marchés financiers internationaux pour refinancer leur dette, la hausse devrait même atteindre 40 %.

Les remboursements ne vont pas baisser, pour la simple et bonne raison que les taux d’intérêt ne devraient guère refluer. Historiquement, vous constatez qu’il faut du temps, une fois que les attentes inflationnistes se sont ancrées, pour que les banques centrales parviennent à ramener l’inflation à 2 % ou 3 %. Cela peut prendre 3 ou 4 ans. Pendant ce temps, les dettes s’accumulent.

Vous attendez-vous à des défauts de paiements de certains pays l’an prochain ?

Il y aura certainement beaucoup d’accidents. Au-delà de cette question technique, il importe de savoir si nous aurons une autre décennie perdue comme ce fut le cas pour les pays d’Amérique latine dans les années 1980, où aucune croissance du revenu par habitant n’avait été enregistrée en raison d’une crise de leur dette.

Les pays d’Afrique subsaharienne sont déjà dans cette situation puisqu’il n’y a eu aucune hausse du revenu par habitant entre 2014 et 2023, tandis que la dette n’a cessé de grimper ces dernières années.

La vraie question qui se pose aujourd’hui pour l’Afrique subsaharienne et aussi les pays les plus pauvres du monde revient à se demander s’il n’y aura pas une seconde décennie perdue. A la Banque mondiale, nous nous attendons à ce que cette décennie soit celle des accidents.

Quels sont les pays les plus vulnérables ?

La plupart des pays pauvres vulnérables, à deux exceptions près – Grenade et le Laos – sont en Afrique subsaharienne. La République du Congo, le Ghana, le Malawi, Sao Tomé, la Somalie, le Soudan, la Zambie ou encore le Zimbabwe sont tous en situation de surendettement.

Ceux qui risquent de rejoindre ce groupe se situent encore pour la plupart en Afrique subsaharienne. Les petits Etats insulaires comme les îles Marshall, les Maldives, Kiribati, Tuvalu, les Tonga sont également en danger. Pour les pays émergents, notamment ceux qui sont présents sur les marchés financiers, l’Argentine, le Sri Lanka et le Liban sont déjà en difficulté.

Il existe un sérieux risque pour la Tunisie et le Pakistan.

Pour les pays les plus pauvres, que peut faire la Banque mondiale pour alléger le fardeau de leur dette ?

La Banque mondiale agit par l’intermédiaire de prêts à taux préférentiels ou de dons de l’Association internationale de développement (AID). En 2022, la banque a fourni aux pays pauvres 17 milliards de dollars de plus que ce qu’ils ont dû rembourser. Elle a également accordé 6 milliards de dollars de dons, soit trois fois le montant d’il y a dix ans.

A ce jour, nous nous efforçons de conserver la puissance financière de l’AID malgré le fait que les pays riches qui la financent ont plus de difficultés à le faire pour des raisons qui leur sont propres. Nous avons donc fait deux innovations.

La première est d’utiliser cet argent obtenu des riches pays donateurs comme base pour emprunter davantage sur les marchés.

Seconde innovation : une partie des bénéfices enregistrés par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement sont reversés à l’AID sous forme de transferts. Nous avons donc réussi à obtenir un montant constant d’environ 35 milliards de dollars par an au cours des trois dernières années, dont environ 20 % ont constitué des dons aux pays les plus pauvres.

Mais si nous pouvions monter à 50 ou 60 milliards de dollars, ce serait appréciable vu le contexte actuel.

Depuis 2020, la communauté internationale appelle à une action décisive pour alléger le fardeau de la dette des pays les plus pauvres. Cependant, rien ne semble avoir changé. Quelles sont les raisons de cet échec ?

Le relatif échec vient du fait que nous utilisons un cadre qui aurait fonctionné il y a 20 ans mais pas aujourd’hui, puisque la structure de l’endettement des pays a changé. Ce cadre a été élaboré par le Club de Paris. Il fonctionnait bien auparavant lorsque la dette des pays était détenue par des Etats, des institutions multilatérales comme la Banque mondiale ou le FMI, et par des banques commerciales. Il était facile alors de réunir ces créanciers – des pays du G7 surtout – autour d’une table en cas de problème majeur.

Aujourd’hui sont apparus d’autres acteurs gouvernementaux comme la Chine et des investisseurs privés qui achètent, le cas échéant, les obligations émises sur les marchés financiers internationaux.

J’ajoute que certains pays en développement ont créé leur propre marché financier, ce qui ajoute à la difficulté puisque les titres obligataires émis localement peuvent être détenus par des investisseurs étrangers. Résultat : 80 % de la dette des pays en développement est détenue par des entités qui ne sont pas membres du Club de Paris. Il importe donc de réformer le système pour avancer plus vite dans la restructuration des dettes.

Pourtant, le G20 a créé en 2020 un cadre commun pour faire face à l’insoutenabilité de la dette. Comment expliquez-vous, trois ans après, ses mauvais résultats ?

Pour les raisons que je viens de citer. J’ajouterai que la Banque mondiale et le FMI, lorsqu’ils effectuent une évaluation de la soutenabilité de la dette d’un pays, ne prennent pas en compte la dette émise localement. C’est une grave erreur qui fausse l’analyse.-

RICHARD HIAULT, Chef économiste de la Banque mondiale, septembre 2023

Source : Economics for Tunisia, E4T