France

Pénurie de carburant : « S’ils nous dégagent, on ira ailleurs »… Les blocages ne vont pas s’arrêter

Ils ne sont qu’une dizaine assis à une centaine de mètres de l’entrée du dépôt Total. Ils ne sont ni armés, ni cagoulés et nous proposent même un café. « On vient de nous en apporter. Avec des crêpes en plus. » Au coin d’un maigre feu où se consume une seule bûche, cette poignée de militants syndicaux bloque à elle seule une bonne partie de l’approvisionnement en carburant de la Bretagne. Les conséquences se lisent juste derrière eux. La station Total installée à quelques mètres du dépôt de carburant de Vern-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) est presque à sec. Dans la ville voisine de Rennes, la situation est identique. Toutes les stations qui n’ont pas pu être ravitaillées voient leur stock d’essence et de gazole se tarir au fil des heures sous l’effet de panique d’une population en quête désespérée de carburant. Dans certaines stations, les pistolets ne crachent plus une goutte. « On savait qu’en venant là on les gênerait. Couper les moyens de transport, c’est un de nos moyens de faire pression. Et c’est justement pour ça que nous sommes là ». Tous sont ici pour lutter contre la réforme des retraites, adoptée grâce à un 49.3 très contesté.

Professeure de français dans un collège de Rennes, Justine Marti est en grève depuis le 7 mars. Membre du syndicat Force ouvrière, elle fait partie des « bloqueurs » du dépôt de Vern. Situé à quelques kilomètres au sud de Rennes, le site ravitaille d’ordinaire une bonne partie des camions-citernes de Bretagne. Sauf que depuis lundi matin à 4h45, aucun poids lourd ne peut entrer ni sortir de la plateforme exploitée par Total. « Ce n’est pas la première fois qu’on vient là, c’est un classique. Mais là, on sent qu’on a un fort soutien. Il y a bien quelques mécontents mais on sent qu’on a une convergence des luttes », embraye Philippe Massé, délégué FO qui travaille au ministère des Armées. Sur la quatre voies qui siffle juste à côté, on entend régulièrement des klaxons résonner pour soutenir les camarades mobilisés. « Ça nous fait du bien », reconnaît-on sans hésiter. Ici, on s’organise « en trois 8 » pour pouvoir tenir le blocage du site pétrolier. Jusqu’à quand ? « Peut-être pas très longtemps. On sait qu’ils peuvent venir nous déloger quand ils le veulent », glissent les manifestants présents.

Penser à d’autres moyens d’action

Une grille est posée sur le barbecue et quelques saucisses et merguez sont lancées pour le déjeuner. Derrière, les banderoles faites avec de vieux draps blancs flottent dans le vent. Ici comme ailleurs, la colère gronde face à un gouvernement « qui n’entend pas son peuple ». Toutes les femmes et les hommes se disent déterminés à se battre « jusqu’au bout ».

On sentait qu’il y avait un petit flottement mais le 49.3 a reboosté tout le monde. En faisant ça, le gouvernement a coupé les règles de la démocratie, il a envoyé un message fort aux citoyens. Notre moyen de lutter, c’est de couper l’économie, de généraliser la grève. »

Ce représentant de la CGT Cheminots est à l’initiative du blocage du dépôt de carburant, qu’elle juge comme « un symbole ». Et si le site était débloqué par les forces de l’ordre ? « Il le sera sans doute. Mais s’ils nous enlèvent d’ici, on ira autre part. On ne s’arrêtera pas là », poursuit le cheminot. Lui plaide pour de nouveaux modes d’actions. « Il faut qu’on soit réactifs, inventifs, que l’on continue la lutte en allant là où on ne nous attend pas. »

Le dépôt de carburant de Vern-sur-Seiche, près de Rennes, est bloqué par des opposants à la réforme des retraites depuis le 20 mars 2023.
Le dépôt de carburant de Vern-sur-Seiche, près de Rennes, est bloqué par des opposants à la réforme des retraites depuis le 20 mars 2023. – C. Allain/20 Minutes

Mais pendant combien de temps ? Alors que certains sont en grève depuis quinze jours, un essoufflement du mouvement ne serait pas surprenant. Surtout après l’échec de la motion de censure à neuf voix près lundi. « De toute façon, on savait que ça ne passerait pas ». Ici, comme dans les rangs des forces de l’ordre, la fatigue se fait sentir. Le café a beau être serré, les visages restent marqués par ces journées et nuits de lutte. « Je me lève tous les jours à 4 heures du mat pour des actions. Je préférerais être en cours avec mes élèves, croyez-moi », rappelle Justine Marti.

« Le combat ne fait que commencer »

Dans les rangs de son syndicat, tous rêvent d’une grève générale qui paralyserait l’économie pendant plusieurs jours. « On n’a plus d’autre choix. La mobilisation est essentielle si on veut obtenir le retrait », poursuit l’enseignante. 

Le discours d’Emmanuel Macron mercredi à 13 heures ? Ils n’en attendent rien. Sous la frêle tente qui leur sert d’abri, tous les militants réunis ne pensent qu’à la manifestation de jeudi. « Ce sera le curseur de la mobilisation. On saura ce que pourra donner la suite du mouvement », estime le représentant de la CGT. En attendant, il va falloir « tenir » le blocage. Une femme ravive le feu avec quelques morceaux de bois. A la nuit tombée, partout dans le pays, ce sont des palettes entières qui risquent de s’embraser. Pour beaucoup, « le combat ne fait que commencer ».