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Palmarès des lycées : Agacement, sentiment de fierté… Comment les proviseurs réagissent face aux classements

Ça fait trente ans que ça dure ! Chaque année, le ministère de l’Education publie les indicateurs de valeur ajoutée des lycées (Ival). L’édition 2023 est consultable sur le site du ministère dès ce mercredi, et elle s’accompagne cette année pour la première fois des indicateurs de valeur ajoutée des collèges (Ivac).

Pour les lycées, ces indicateurs apprécient non seulement la réussite au baccalauréat des élèves de terminale, mais également la capacité de l’établissement à accompagner le maximum d’élèves de seconde jusqu’à l’obtention du diplôme, ainsi que la différence entre les résultats obtenus par ce lycée et ceux qui étaient espérés. Tout cela en prenant en compte les caractéristiques sociodémographiques et scolaires des élèves. Autant de données exploitées par plusieurs médias pour effectuer des palmarès de lycées, avec chacun sa propre méthodologie. L’Etudiant, L’Express, Le Monde, Le Point, Le Figaro, ainsi que beaucoup de quotidiens régionaux, s’assurent ainsi d’être très lus ce jour-là et d’attirer moult annonceurs.

« Quand les résultats sont bons, les profs sont fiers »

Sans être obsédés par ces classements, les proviseurs ne peuvent pas s’empêcher d’en guetter la sortie. « Le lycée que je dirige n’a pas toujours joui d’une bonne réputation. Depuis 2017, on a fait un bond dans les Ival, c’est plutôt rassurant. Mais je ne focalise pas trop là-dessus, sous peine d’être déçue l’année où les résultats seront moins bons », indique Agnès Perrier-Schiano, proviseure du lycée Liberté de Romainville (Seine-Saint-Denis). Radouane M’Hamdi, proviseur du Lycée André Boulloche à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), y prête aussi attention : « Cela fait partie des indicateurs intéressants. Il ne faut pas être en dessous de la moyenne. Et quand les résultats sont bons, les profs sont fiers. Ils ont l’impression que leur travail est reconnu. »

Si les chefs d’établissement ne peuvent ignorer la manière dont la presse va relayer les données du ministère, c’est aussi parce que beaucoup de parents d’élèves scrutent les palmarès : « Ces classements conditionnent en partie l’image que les parents vont avoir de l’établissement. Lors des journées portes ouvertes du lycée, ils nous en parlent », constate Radouane M’Hamdi. Ce qui oblige les chefs d’établissement à faire de la pédagogie auprès des parents, pour leur expliquer comment sont fabriqués ces palmarès. Sans pouvoir toujours les convaincre de garder un peu de distance, explique Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN) : « Ces classements peuvent conduire les parents à penser que certains lycées font mal réussir leurs élèves. Ce qui revient à dérouler un tapis rouge au privé. »

Des marges de progression très différentes selon les lycées

Difficile aussi d’expliquer aux parents l’incohérence de certains palmarès :  « Un lycée peut arriver premier au classement du Figaro et dernier à celui du Parisien. Et on met dans le même sac l’enseignement public et le privé, alors que leurs modes de recrutement ne sont pas les mêmes », ironise Bruno Bobkiewicz. Comme le déclare Fabienne Rosenwald, la directrice de la Depp (le service des statistiques du ministère de l’Éducation nationale), « les Ival mesurent l’apport propre d’un établissement à la réussite des élèves compte tenu de leurs profils scolaires et socio-économiques ». Ce qui induit des marges de progression totalement différentes, selon Radouane M’Hamdi : « Ces Ival, et les classements qui sont effectués ensuite, favorisent les établissements où les élèves ont des résultats moyens ou qui sont en éducation prioritaire. C’est plus facile de prendre des points lorsqu’on a 70 % ou 80 % de taux de réussite au bac que lorsqu’on affiche déjà 95 % », indIque-t-il.

De fait, l’an dernier, le lycée Hector Berlioz de Vincennes, que dirige Bruno Bobkiewicz, affichait un taux de réussite au bac de 97 % et un taux de mentions de 71 %, mais il s’est retrouvé 46e sur 48e des lycées du Val-de-Marne au classement du Parisien. Ces Ival et les classements qui en découlent ne tiennent pas compte de la diversité des cohortes d’élèves, souligne de son côté Agnès Perrier-Schiano : « Il y a des paramètres sur lesquels nous n’avons pas la main, même si on fait tout pour aider nos élèves. Dans mon lycée, on sait déjà qu’on va avoir de moins bons résultats cette année, car certains élèves étaient souvent absents et qu’ils ne passeront sans doute pas le bac. Ils vont donc plomber les statistiques, alors que les élèves que nous aurons préparés réussiront bien. »

« Ces Ival ne sont pas l’Alpha et l’Omega du pilotage pédagogique »

Reste à savoir si les données du ministère aident certains proviseurs à prendre conscience de ce qu’ils pourraient améliorer en interne. Si selon Fabienne Rosenwald, « les Ival sont des outils de pilotage pour les chefs d’établissement », rares sont les proviseurs estimant qu’ils ont été les déclencheurs d’actions pédagogiques : « On n’attend pas les lval pour réagir quand le niveau de nos élèves décroche. C’est perceptible dès le premier trimestre. Dans ce cas, on met en place des séances de remédiation, des semaines de soutien pendant les vacances… », commente Radouane M’Hamdi.

« On vit dans nos établissements tous les jours, on a nos propres indicateurs, on sait sur quoi il faut agir » renchérit Agnès Perrier-Schiano, qui a mis en place du soutien pédagogique, des activités culturelles, de l’accompagnement social… « Ces Ival ne sont pas l’Alpha et l’Omega du pilotage pédagogique, résume Bruno Bobkiewicz. Ce serait plus intéressant de pouvoir comparer les écarts de niveau matière par matière dans des lycées d’un même district. Cela pourrait nous interroger sur la sévérité de notre notation, par exemple ».