France

Mayotte : « C’est un crime », la communauté comorienne marseillaise meurtrie par l’opération Wuambushu

Attablée à la terrasse d’un café du Vieux-Port de Marseille, Fatima a le visage grave. Après avoir pianoté sur son smartphone, elle tend l’appareil. Une vidéo postée sur les réseaux sociaux apparaît sur l’écran. Une vidéo d’une rare violence qui immortalise les tensions provoquées par l’opération sécuritaire Wuambushu à Mayotte.

Lancée au nom de la lutte contre la délinquance, cette opération prévoit de déloger des migrants en situation irrégulière des bidonvilles du 101e département français, et d’expulser les sans-papiers, pour la plupart comoriens, vers Anjouan, l’île comorienne la plus proche située à 70 kilomètres. Quelque 1.800 policiers et gendarmes, dont des centaines de renforts de métropole, sont exceptionnellement mobilisés à Mayotte pour cette opération controversée à laquelle le gouvernement n’a pas officiellement donné de date de lancement ni de fin.

« Toute mère qui a des enfants, quand elle voit ça, ça fait mal »

« Ce sont nos compatriotes, s’alarme à ses côtés une autre Marseillaise d’origine comorienne, qui s’appellent également Fatima. Les voir comme ça être traînés comme des chiens, c’est révoltant. Toute mère qui a des enfants, quand elle voit un enfant subir ça, ça fait mal. Ces images, ça m’a fait trembler. Chaque fois qu’on voit cette brutalité sur les réseaux sociaux, elle nous surprend. »

A la table du café, leurs voisins de table acquiescent. Tous sont ici connus pour leur engagement pour la démocratie aux Comores malgré les milliers de kilomètres qui séparent le Vieux-Port de leurs îles natales. Mais depuis ce coin de terrasse, sur un autre continent, c’est un petit bout de Comores qui pointe son nez, le cœur meurtri, dans une ville connue pour abriter la diaspora la plus importante de France.

« La souffrance, on la ressent dix fois plus fort ici »

« C’est extrêmement choquant, souffle Djamila. Ce sont des enfants qui vivent là-bas, qui ont perdu leurs parents en traversant les mers. Ce sont des orphelins qui ont grandi dans la rue, qui sont fragiles. C’est un crime, ce que fait la France. L’humanité, elle est où ? Qui fait ça dans un état de droit ? »  « Je ressens une vraie souffrance pour eux, abonde Fatima. Beaucoup viennent à Mayotte pour se faire soigner, car les structures là-bas sont meilleures. Aux Comores, ils n’ont pas d’école, pas d’électricité, pas de route. Les enfants ne veulent pas mourir sur place. Les femmes viennent pour ne pas mourir en couche. Et Mayotte, c’est chez nous. Moi-même, je suis allée à Mayotte pendant un an pour me faire soigner, avant d’être rapatriée en métropole. C’est un cauchemar. On a de la famille partout là-bas. Ça me fait souffrir car on nous enlève nos enfants. On brise nos familles. »

« Ceux qui vivent ici, à Marseille, c’est ceux qui font vivre là-bas, ajoute Zilé. Alors toute la souffrance là-bas, on la ressent dix fois plus fort ici car on reçoit des coups de téléphone tous les jours. » Au-delà de l’effroi, c’est la crainte qui saisit ces Comoriens. « Ça va devenir une sorte de guerre civile, s’inquiète Djamila. Ceux qui sont rapatriés par les militaires vont être contre le système et ne vont pas se laisser faire ». « Ils sont en train de mettre le feu aux îles, abonde Dini. Car les gens qui vont être déplacés vers les Comores ne vont pas être forcément acceptés là-bas. J’ai peur qu’on assiste à une déstabilisation générale de tout l’archipel. »

Une première manifestation contre la loi Darmanin et l’opération Wuambushu est prévue à Marseille ce samedi à 14 heures depuis la porte d’Aix, avant de possibles autres mobilisations de la communauté comorienne. Car d’où ils sont, à des lieues de leur terre natale, comme le note Djamila, « notre seule manière de se battre, c’est parler. Et essayer de montrer que ce qui se passe à Mayotte est une catastrophe. » Une catastrophe pas si lointaine, à écouter ces Marseillais d’origine comorienne. « Si Gérald Darmanin fait ça, c’est aussi pour les ajouter aux chiffres de reconduite à la frontière », accuse Dini. « Et il faut avoir conscience de quelque chose, conclut Zilé. Les départements d’outre mer ont toujours été pour la France des laboratoires. Darmanin est train de tester à Mayotte la composante la plus dure de sa politique d’immigration ».