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JO de Paris 2024 : « J’ai hâte et j’angoisse, c’est une pression de dingue », confie Anne-Cécile Ciofani

Ce n’est plus qu’une question de semaines, ou de jours. Après une année perturbée par les blessures, dont la dernière au grand pectoral, Anne-Cécile Ciofani voit enfin le bout du tunnel. La meilleure joueuse du monde de rugby à VII travaille d’arrache-pied pour être disponible pour l’étape française du circuit mondial, à Toulouse, mi-mai. Et, surtout, revenir dans un groupe qui prépare les Jeux olympiques de Paris en 2024.

Car, après la médaille d’argent obtenue à Tokyo, lors des JO 2021, celle qui a été aussi vice-championne du monde veut absolument prendre sa revanche sur la finale perdue face aux Néo-Zélandaises qu’elle n’a toujours pas digérée. La joueuse du Stade Français, à XV, évoque la longue période de convalescence, ses doutes et, surtout, l’envie d’être, déjà, à Paris, dans dix-huit mois.

Vous avez eu une année compliquée niveau blessures, avec une dernière à l’épaule alors que vous reveniez avec le Stade Français en janvier…

L’après Jeux a été compliqué. Quand on dit que l’esprit est lié au corps, j’en ai fait les frais assez rapidement. J’ai eu une blessure l’année post-olympique. J’ai une tendinite rotulienne qui a énormément traîné, et je pense que c’était en lien avec mon état mental. J’étais vraiment épuisé, et mon corps avait besoin de se reposer. Et effectivement, lors de mon match de retour, où j’espérais réintégrer l’équipe de France à VII ensuite, je me blesse au grand pectoral, une blessure rare chez les femmes. Là, je suis à un peu plus de deux mois de l’opération. Et je suis sur la dernière phase. On entre dans un gros bloc physique et la reprise du rugby à fond dans les prochaines semaines, si tout se passe bien.

Vous êtes salariée avec la FFR et vous vous êtes blessée à XV, avec le Stade Français…

J’étais très stressée. Car, quand on se blesse en club, dans un loisir, car on n’est pas professionnelles, c’est un peu délicat. Je suis arrivée en marchant sur des œufs, en disant : « Oups, désolée, je me suis blessée en club. » Déjà, en tant qu’athlète, c’est embêtant de se blesser, mais encore plus quand c’est en dehors de notre travail. Après, c’est difficile de dissocier le sport en club et le sport avec France VII. Ça reste du rugby, les blessures peuvent arriver n’importe quand. Après, ça n’a pas été le grand drame. Ça a été vite géré par la Fédération, et tout est mis en place pour que je revienne le plus vite possible.

Vous verra-t-on lors de l’étape française du circuit mondial, fin mai à Toulouse ?

Tous les jours, je me lève et je pense à ma reprise à Toulouse. Tous les jours, je demande au kiné d’en faire plus, même si ce n’est pas la solution. Sur le papier et sur le plan médical, ça sera bon. Maintenant, on est une petite vingtaine de joueuses à postuler à chaque fois. Il va falloir que je joue, que je refasse mes preuves, que je me refasse une place dans le groupe que j’ai quitté il y a quelque temps. Ça reste un objectif à court terme, c’est une grosse motivation chaque jour quand je m’entraîne. Après, il faut aussi prendre en compte le fait qu’un retour trop tôt n’est pas forcément la meilleure option. Si, à Toulouse, je suis trop juste physiquement ou sur les repères sur le terrain, le coach fera les bons choix. Mais j’ai besoin de cet objectif pour enchaîner les journées qui sont très longues.

Est-ce que vous avez peur, avec cette longue absence, pour votre place pour les JO ?

Complètement. C’est avant tout un sport d’équipe, et on a la chance d’avoir un collectif assez dense, qui fait que personne n’est indispensable. Cela permet de remédier facilement aux absences des unes et des autres. Je ne suis pas du tout installée, et il va falloir que je revienne aussi forte, voire plus forte qu’avant. Peu importe les titres individuels, on doit toutes refaire nos preuves après une longue période d’absence. Alors, peur, c’est un bien grand mot, mais ma place n’est pas assurée à Paris, ni même à Toulouse ou sur les prochaines étapes du circuit mondial. Il faut travailler.

Depuis la médaille d’argent obtenue à Tokyo, comment analysez-vous la situation du rugby à VII français ?

Après les derniers Jeux, il y a eu un gros roulement de joueuses, où les filles qui n’ont pas eu la chance de faire les JO ont pu intégrer de manière plus importante le groupe. Il y a eu aussi beaucoup de blessées. Il faut réussir à trouver des repères, ça prend du temps, le niveau augmente d’années en années. C’est un équilibre à trouver, qui n’est pas forcément évident. Les coachs font un travail de fou, il faut réussir à trouver une harmonie pour que les joueuses se sentent bien et performent. Malheureusement, ça ne marche pas toujours. L’année postolympique a été pleine de rebondissements, et ce n’est pas fini car il y a pas mal de blessées de côté. Mais je ne m’en fais pas pour la suite.

Quelles leçons avez-vous tirées de la finale perdue à Tokyo ?

La finale, elle est encore là [en travers de la gorge]. Il y a une énorme revanche à prendre, et c’est aussi pour ça que j’ai autant envie de revenir sur le terrain. Des matchs comme celui qu’on a fait en finale, on doit les gagner. Depuis, je n’ai même pas reregardé la finale. La leçon qu’on retient, c’est qu’on peut le faire. Quand c’est à portée de main et que t’es pas maître de ce qui se passe, car il y a plein d’éléments à prendre en compte, c’est très frustrant.

Les Françaises en argent devant un public en folie à Tokyo, lors des Jeux 2021.
Les Françaises en argent devant un public en folie à Tokyo, lors des Jeux 2021. – Shuji Kajiyama/AP/SIPA

Comment, justement, avez-vous apprécié cette médaille d’argent ?

Franchement, c’est peut-être ingrat de le dire car beaucoup de sportifs n’ont pas eu la chance d’avoir de médailles, et on devrait s’en satisfaire et être heureuse, et je le suis, mais quand tu passes trop près, c’est très dur de la savourer. Grâce à mes proches et les retours qu’on a, j’apprécie cette médaille. Peut-être que je l’apprécierais un peu plus après une belle médaille à Paris.

Surtout que, à Paris, avec la France derrière vous, ça va forcément jouer en votre faveur…

Je ne sais pas. Ça va être un truc de fou de jouer à la maison. J’ai hâte et j’angoisse à chaque fois que j’y pense. C’est une pression de dingue et c’est quelque chose qu’il va falloir apprendre à gérer. Et il va peut-être falloir travailler dessus en amont. Car jouer à la maison, ça nous arrive une fois à l’année à Toulouse. Mais, là, jouer dans un stade aussi grand, pour un événement aussi important, devant de milliers de supporteurs, il va falloir gérer la pression. Au moins à Tokyo, comme il n’y avait personne dans les tribunes, il n’y avait pas de problèmes de communication, on s’entendait toutes sur le terrain.

Vous avez été sacrée meilleure joueuse du monde en 2021. Mais vous avez toujours mis en avant la dimension collective…

J’ai fait longtemps un sport individuel, de l’athlétisme, et les sensations procurées par le rugby à VII n’ont rien à voir avec l’athlé. Moi, je suis accro à ça, au fait de s’entraîner en équipe, de gagner en équipe, de se dépasser toutes ensemble. Il y a des entraînements où on finit sur les rotules, mais on finit toutes ensemble. Et, si on finit comme ça, c’est parce que la copine t’a poussé derrière. On vit tellement les choses ensemble, que cette distinction, elle est pour le collectif. Ce trophée-là, je le dois aux filles, c’est indissociable.

En vue des JO, en plus de votre contrat avec la Fédération, vous êtes aussi accompagnée par des sponsors, et avez rejoint le Team EDF…

J’étais trop contente de pouvoir signer ce partenariat avec eux. Les partenariats individuels dans les sports collectifs, c’est assez rare. EDF, c’est un sponsor de fou, qui correspond totalement à mes valeurs. Avant la signature, on a beaucoup échangé sur leurs engagements, comme la parité hommes-femmes, handi-valide… J’avais l’impression de me reconnaître dans ça. Et, aujourd’hui, je suis très heureuse et très fière de faire partie de ce collectif.

Vous avez aussi participé récemment à une conférence sur la santé mentale. Est-ce que vous avez senti que cet accompagnement vous avait manqué dans votre carrière ?

Oui, je l’ai senti au moment où je me suis blessée, où j’étais toute seule chez moi. Je me suis retrouvée sur mon canapé et j’avais l’impression d’une décharge mentale. Avoir un accompagnement ou des sponsors qui me permettent mentalement de mieux vivre la situation, ça aurait pu être plus motivant. A la FFR, on a à disposition un préparateur mental, mais ce n’est pas obligatoire. Et on est quelques unes à chercher de notre côté. On a aussi un accompagnement psy avec la Fédé et on peut aller le voir quand on le souhaite.