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« J’attends l’étincelle ou le déclic qui débloquerait tout »… Trente ans après, la chouette d’or fascine toujours

« Je veux comprendre et savoir avant de rejoindre la chouette six pieds sous terre. » A 64 ans, Diego a passé quasiment la moitié de sa vie à chercher un volatile de 30 cm de haut. Et il continue « inlassablement [sa] quête, dans l’attente d’une étincelle ou du déclic qui débloquerait tout ». Son Graal ? La fameuse chouette d’or, parée de pierres précieuses, dont une réplique en bronze a été enterrée dans la nuit du 23 au 24 avril 1993 par un certain Max Valentin, Régis Hauser de son vrai nom. Le 15 mai suivant, il publiait, avec son illustrateur Michel Becker, Sur la trace de la chouette d’or, un livre de 11 énigmes à résoudre et à relier entre elles pour trouver, à un mètre près, le site d’enfouissement du trésor.

Ce jeu de piste tout simplement « fascinant », commencé à l’époque où on comptait en francs – la chouette étant estimée à un million – et où les indices de l’auteur étaient distillés en tapant un onéreux 3615 sur le Minitel, est toujours en cours trente ans après. Il réunit une communauté mouvante et protéiforme de « chouetteurs », des sexagénaires comme Jean-Claude, 65 ans et désormais retraité, qui continue à tenter de percer le mystère « en famille ». Mais il attire aussi des jeunes, à l’instar de Jorys, 28 ans, qui a fini par « convertir » ses oncles à la chasse et essaie avec eux de faire le tri entre vraies et fausses pistes, les enfumades des anciens ou les idées de génie des néophytes.

Alors à quoi reconnaît-on un chouetteur de nos jours ? Certains ont encore une édition du « Quid » toute cornée sur un coin de table. Ils savent ce que veut dire en latin « Ad augusta per angusta ». Ils ont des pseudos plus ou moins farfelus sur les forums, du type Moissonneur, Anthoo ou Kaspius. Tous ont leur carte Michelin 989 gribouillée, traversée de traits, d’itinéraires, parsemée de cercles, et voyagent à Bourges ou Roncevaux en pensées, ou à Fontainebleau en voiture. Tous connaissent Dabo, la petite commune de Moselle, au centre d’une énorme querelle de chapelles : il y a ceux qui en font l’étape ultime, ceux qui plaident l’habile contre-feu et ceux qui s’en moquent carrément.

« J’ai creusé 12 fois dans ma zone finale »

Les plus tenaces gardent leurs pelles dans le coffre de leur voiture. Brice, un internaute de 36 ans, fait partie des optimistes déterminés. Chasseur depuis moins de deux ans, il pense avoir trouvé la solution « en deux mois ». « Depuis, j’ai cherché et creusé 12 fois dans ma zone finale », confie-t-il. Son « petit bout de forêt » est situé « assez loin » de chez lui et il s’équipe d’un puissant détecteur de métaux. Pour l’instant, point de chouette, mais le trentenaire reste « confiant » et réussit toujours à embarquer des collègues, potes, ou même sa belle-famille dans ses excursions.

Raphaël a été entraîné dans l’aventure il y a dix ans par son épouse au savoir encyclopédique et spécialiste des « Madits », les indices énigmatiques semés par Max Valentin jusqu’à son décès en 2009. Elle maîtrise les méandres du jeu, lui joue « l’avocat du diable » et ils s’amusent, chemin faisant sur la longue route des vacances. « Par deux fois déjà, nous sommes partis sûrs de nous pour creuser dans une parcelle de forêt à plus de trois heures de route. Par deux fois, il a fallu gérer l’après, l’horrible désillusion alors que tout semblait clair », raconte-t-il. Raphaël décrit bien le cycle du chouetteur, avec ces moments d’abattement puis le retour d’enthousiasme – quand « vient une nouvelle hypothèse » et que « de nouveau l’adrénaline prend le pas ».

« Il y a des périodes de recherches intensives et d’autres moins », confirme Pierre, pas « daboiste » pour un sou, qui cherche depuis trois décennies. « C’est une malédiction ! On n’a jamais l’esprit tranquille », corrobore Vincent, accro aux multiples rebondissements. Paul peut « oublier cette chasse pendant trois mois ou passer une semaine à faire des insomnies », voire se réveiller « en pleine nuit pour vérifier quelque chose sur la carte ».

Anciens blasés et amis facétieux

Il faut dire que la chouette d’or forge l’humilité. Christophe avait 16 ans quand il a commencé, en 2001. Il moque aujourd’hui son optimisme de l’époque. Il a fait des pauses, parfois « de quelques mois ». Mais depuis deux ans et la « reprise en main » de la quête par Michel Becker, l’illustrateur des énigmes qui distille à son tour des informations sur Discord, il s’y est remis. « Une heure par jour » minimum. Avec sa technique à lui : partir de la super-solution pour « craquer » le jeu, le court-circuiter en le remontant à l’envers. Vincent, en plus de chercher la chouette, se passionne, en mode étude sociologique, pour les profils des quêteurs. « C’est fascinant de suivre l’évolution des chercheurs, ou de voir ce que certains sont capables de faire, dit-il. Avec le temps, on apprend à reconnaître les profils. Certains se croient malins, alors que les anciens se disent « pff…, c’est déjà le troisième guignol cette année à nous sortir une fable de ce type » ».

Au point que certains sont devenus blasés, limite incrédules. Un internaute nous assure que cette chasse interminable n’est « qu’une astucieuse arnaque ». Un autre estime qu’elle est insoluble juste parce qu’elle est mal pensée, « bancale », « capillotractée ».

Les chouetteurs s’écharpent parfois sur les forums, se prennent aussi le bec en montant des associations rivales. Certains collaborent aussi à distance. Mais ce sont surtout de grands optimistes, d’une immense patience, qui se réunissent dans des « chouette-fêtes » et sont passés maîtres en autodérision. « Alors, tu l’as trouvée cette chouette ? », « C’est une connerie, non, tu crois pas ? » Trente ans que Diego endure sans broncher les sarcasmes de ses amis. Vingt ans que Christophe stocke carnets, presse-papiers, ou même porte-encens en forme de chouette que des proches malicieux lui offrent. Alors, on a envie de croire Moissonneur. Il affirme que « la chouette est à deux doigts d’être découverte ». Trente ans et deux doigts, donc.