France

Immeubles effondrés à Marseille : « C’est étrange de pouvoir rentrer chez moi alors qu’il y a eu des morts à 50 mètres »

Une voiture roule doucement rue Jaubert, sous le soleil de printemps qui tape les façades jaunes. Elle longe la petite artère marseillaise, arrive au croisement de la rue de Tivoli, où des pelleteuses s’activent encore et toujours, sans relâche, sur les derniers débris. La voiture continue sa lancée, comme si de rien n’était. Elle passe ensuite sous les yeux de Paul, au pas. Le vieil homme se fige, et fixe cette scène d’ordinaire banale, devenue extraordinaire ce vendredi matin. Paul vit dans cette rue, au cœur du quartier du Camas, depuis près de cinquante ans. « Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu de voiture ici », confie-t-il.

Ça faisait exactement dix-neuf jours. Le 9 avril dernier, une partie du quartier du Camas s’est vidée de toute forme de vie. Ce jour-là, l’effondrement de plusieurs immeubles suite à une explosion a tué huit Marseillais, et engendré l’évacuation en urgence de 43 bâtiments. Paul fait partie des rares voisins à avoir pu rester sur place, vivant jusqu’ici dans un quartier fantôme, où les pompiers, experts, élus locaux et journalistes avaient remplacé les habitants de ces rues habituellement paisibles.

« Une partie de la vie du quartier reprend »

Dix-neuf jours plus tard, les journalistes sont toujours là, les pompiers aussi, les élus locaux également. Mais quelque chose a changé.  « Aujourd’hui, une partie de la vie du quartier reprend », se félicite le maire Benoît Payan. Dans un communiqué de presse envoyé jeudi soir, la ville de Marseille a annoncé le retour de 72 ménages, soit 138 personnes, dans 19 immeubles de la rue Jaubert et la rue Abbé-de-l’Epée, deux rues perpendiculaires de la rue de Tivoli, dès ce vendredi à 9 heures, les experts ayant écarté tout danger vital dans ces bâtiments.

La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre parmi les délogés. Une grosse valise à la main, Nicolas s’approche de Dylan, un des marins-pompiers dépêchés sur place. « Bonjour ! J’habite dans cet immeuble, au premier étage. » Dylan accompagne Nicolas jusqu’à son appartement. « On est là pour assurer leur sécurité et leur apporter également un accompagnement psychologique : les gens appréhendent maintenant beaucoup le gaz », explique le marin-pompier dans la cage d’escalier. Arrivé sur son perron, sa valise à la main, Nicolas ne cache pas son impatience. Le jeune homme était en plein déménagement quand le drame s’est produit. Il a du tout stoppé, dans la précipitation, et va enfin pouvoir récupérer ses derniers meubles. « Le camion arrive vers 10 heures », explique-t-il au marin-pompier.

« C’est dur »

A l’heure dite, un fourgon se gare rue Jaubert, et dépasse Georges qui sort de son appartement, dans un immeuble voisin. Sur le pied de grue dès 8h30 pour être parmi les premiers à regagner son nid douillet, Georges ressort soulagé, après avoir soigneusement inspecté le moindre recoin, à la recherche d’une quelconque anomalie provoquée par le souffle de l’explosion. « Tout est bon, souffle le vieil homme qui habite le quartier depuis cinquante ans. Il y avait même encore la table de Pâques dressée, avec les couverts et les assiettes ! »

Une voisine l’aperçoit au loin, et lui tombe dans les bras, les larmes aux yeux. « Monsieur Georges ! Vous m’aviez manqué. Ça me fait un de ces effets de revenir… » « Comment allez-vous ?, répond le vieil homme dans un sourire malicieux. Il paraît que vous viviez dans un bel appartement, un palace de 250 m² ! » « C’est dur, souffle-t-elle. Je pense à mes amis qui sont partis, et que je connaissais bien. »

A quelques mètres de là, dans ce ballet aussi calme que déconcertant de valises et de sacs, un autre délogé met la clé dans la serrure de son immeuble, sous l’œil des caméras. « C’est un sentiment très étrange de pouvoir rentrer chez moi alors qu’il y a eu des morts à 50 mètres, confie-t-il, Je vais pouvoir reprendre ma vie comme avant. Qu’est-ce que vous voulez faire… » Au loin, Georges reprend doucement ses habitudes, et s’en va faire des courses, sur la Canebière. Comme avant. Ou presque. Dans un coin de la tête, il pense encore à cette nuit-là. « Le choc, le bruit, les morts. Vous savez, c’était des gens qu’on voyait tous les jours, qui passaient devant chez moi. » Georges murmure. « L’essentiel, c’est qu’on soit vivant. »