France

Avec « Vaincre ou mourir », le Puy du Fou ne sait pas choisir entre documentaire et fiction

Plutôt qu’un film de cape et d’épée, c’est la couronne et le crucifix que présente le parc du Puy du Fou avec son premier film. Vaincre ou mourir, sorti le 25 janvier, met en scène le parcours de Charrette, un noble, qui devint un des chefs des Vendéens pendant la guerre de Vendée, qui secoua l’ouest de la France après 1789. 20 Minutes a cherché à savoir si le film avait une valeur historique ou n’était qu’un pur divertissement. La réponse semble être : ni vraiment l’un, ni franchement l’autre…

Principalement tourné au Puy du Fou, le film manque singulièrement de nuances dans son exposition historique, présentant deux blocs presque monolithiques : les Vendéens, attachés à la défense de la monarchie et du catholicisme sous l’égide de Rome, contre les Républicains, seulement préoccupés à mater la révolte vendéenne par tous les moyens. Les historiens spécialistes de la période ont déjà démontré que les révolutionnaires ont commis des violences inouïes envers les populations civiles de Vendée pendant cette guerre, mais la recherche a aussi montré que certains d’entre eux les ont condamnées.

Le film commence par donner brièvement la parole à trois historiens et à un écrivain, laissant penser que l’on a affaire à un documentaire. Ensuite, le film bascule dans le récit cinématographique, n’apportant plus aucune contextualisation comme le ferait un documentaire. « Ce qui m’a étonnée, c’est que souvent, on dit qu’au cinéma, on doit tout de suite rentrer dans l’histoire, réagit auprès de 20 Minutes Anne Rolland-Boulestreau, historienne spécialiste de la période qui fait partie des historiens interviewés au début du film. Là, il y a nos interviews et je pense que le public peut être perdu. J’espère que des spectateurs vont essayer de creuser [l’histoire de la guerre de Vendée]. »

« Les historiens ne sont pas des censeurs du divertissement »

La professeur à l’université d’Angers s’étonne d’un « mélange des guerres », car Reynald Secher, un historien qui défend la thèse d’un génocide en Vendée, y est aussi interrogé. Cette thèse a été réfutée par d’autres historiens spécialistes de la période.

« Le problème de ce film, c’est cette tension entre fiction et prétention à la vérité historique, au documentaire », pointe auprès de 20 Minutes Guillaume Lancereau, historien et co-auteur de Le Puy du Faux. « Ils faudraient qu’ils fassent un choix. Par exemple, Gladiator, c’est du n’importe quoi, ce n’est pas grave, c’est divertissant. Les historiens ne sont pas des censeurs du divertissement. En revanche, s’ils veulent faire un documentaire, il va falloir être un peu plus sérieux que cela. »

Les personnages sont « prétextes à des valeurs »

Pour le spécialiste de la révolution, l’objectif du film, « c’est qu’on reparte avec une représentation de l’histoire comme un espace de lutte entre des valeurs abstraites. Là, Charrette incarne l’honneur. Tous les personnages sont vides, sont prétextes à des valeurs. L’histoire peut être présentée comme le républicain/le royaliste, le bon/le mauvais, ce ne sont plus des personnages. »

Guillaume Lancereau rappelle que le parc du Puy du Fou « n’a pas le monopole des usages politiques de l’histoire ». « La question, c’est comment on le fait ?, enchaîne-t-il Avec une sincérité vis-à-vis des acteurs historiques, de ce qu’ils ont été, ou est-ce qu’on le fait en plaquant des catégories toutes faites ? »

La « guerre de Vendée est un sujet clivant dans l’ouest de la France »

Pour Anne Rolland-Boulestreau, Vaincre ou mourir « n’est pas tellement un film sur la guerre de Vendée, c’est comme Un Peuple et son roi, ce n’est pas tellement sur la Révolution, ou le Danton d’Andrzedj Wadja, ce n’est pas tellement sur Danton. Ce qui m’intéresse, en tant que chercheuse, c’est comment un film de 2023 parle de notre époque. »

Elle note que la « guerre de Vendée est un sujet clivant dans l’ouest de la France. Certains le vivent encore de façon encore assez prégnante. » Pourquoi ce clivage existe-t-il encore, et s’incarne-t-il ici à travers la figure de Charette ? La France a connu d’autres révoltes populaires après la révolution, qui sont tombées dans l’oubli collectif. « La mémoire ne marche pas toute seule, souligne Guillaume Lancereau. C’est un projet politique d’entretenir cette mémoire-là. »

« La figure de Charrette est loin d’être consensuelle »

Anne Rolland-Boulestreau souligne que le regard porté sur Charette a évolué : « La figure de Charrette est loin d’être consensuelle. Au XIXe siècle, l’Eglise va prendre ses distances avec lui et va magnifier d’autres chefs vendéens. L’Eglise est dans une période de reconquête et a besoin de célébrer des figures qui sont beaucoup moins polémiques sur les mœurs, le rapport à l’Eglise. Charrette a quand même tué un curé, qu’il accusait d’espionnage. » Un acte qui n’apparaît pas dans le film.

Charette est une « figure assez complexe, [par son soutien] au roi, parce qu’il était dur avec ses hommes, parce qu’il a des énormes succès contre les républicains, parce qu’il est critiqué par l’Eglise, tout cela fait qu’il résume, à tort ou à raison, la complexité de la guerre de Vendée. »