Belgique

À Bruxelles, les agriculteurs ont déposé leur colère aux pieds de l’Europe : “Si on en est arrivé là, c’est que les choses ont été très très loin”

Face à eux, les agriculteurs. Si certains sont plongés dans l’ambiance “musique, bières et barbecue”, d’autres sont plus tendus. Des pétards explosent régulièrement de tous les côtés. Des tas de pneus et de déchets en feu dégagent une âcre fumée noire, qui prend aux narines. Au sol, les quantités d’eau visibles témoignent des affrontements de la matinée avec les forces de l’ordre : les jets d’eau de la police ont répondu aux fumigènes et feux d’artifice lancés par les manifestants. Une statue du monument à John Cockerill a été déboulonnée en face du Parlement et mise au feu. Les façades des institutions sont souillées d’œufs brisés.

Au cœur de la manif à Bruxelles: « Des gens qui ne sont pas réellement concernés en profitent pour foutre le bordel et tout casser”

Six heures de tracteur pour rallier la capitale

Entre les ballots de paille et les tracteurs, une remorque sert de scène pour les prises de paroles sur la place. “Ursula von der Leyen, Charles Michel, vos revenus sont indécents ! Nous, on crève !”, s’exclame une activiste dans un micro qui peine à porter au-dessus du brouhaha. Un drap recouvre le bas de la statue qui trône habituellement fièrement au milieu de la place. On peut y lire “Politique UE libérale = responsable”. Tout autour, les vestes vertes de la Fédération wallonne de l’agriculture (Fwa) et de la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA) et bleues de la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs (Fugea) se mélangent aux manteaux jaunes de la fédération agricole italienne Coldiretti. Les délégations sont venues de toute l’Europe pour se faire entendre.

Les rues adjacentes témoignent à leur tour du nombre important (plusieurs milliers) de manifestants. Près de 1300 tracteurs, selon la police, sont méthodiquement alignés et garés, et empêchent tout accès au quartier européen. Quand les agriculteurs laissent leur terre derrière eux pour envahir la capitale, ils ne font rien à moitié. “Si on en est arrivé là, c’est que les choses ont été très très loin”, glisse Philippe Duvivier, le président de la Fugea. “Il a fallu 6h pour qu’on arrive jusqu’ici, on est prêts à rester si nécessaire”, précise, déterminée, une agricultrice membre de la FJA.

La Place du Luxembourg libérée vers 17h30

L’ampleur de la mobilisation, qui a entraîné de fortes perturbations sur les routes, aura à tout le moins permis aux agriculteurs d’être reçus par les eurodéputés et les autorités politiques de l’Union européenne. Ils attendaient beaucoup de ces échanges. “La mesure sur les jachères, ce n’est pas ça qui va changer les choses”, note un membre de la Fwa.

Dans la foulée des deux précédentes mesures annoncées mercredi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a précisé que la Commission allait travailler à “réduire le fardeau administratif” des procédures de la politique agricole commune (PAC).

Vers 16h30, les premiers agriculteurs ont commencé à quitter la place du Luxembourg. La quasi-totalité des tracteurs étaient finalement partis à 17h30. Une partie d’entre eux se sont dirigés vers le Ring pour le bloquer. Le carrefour Léonard et le nœud de circulation Delta étaient ainsi complètement à l’arrêt en fin de journée. D’importantes perturbations ont été recensées sur les routes autour de Bruxelles.

En parallèle, les autres blocages routiers se sont poursuivis, notamment sur la E429 à Hal et sur la E19 à Haut-Ittre et Nivelles. En région flamande, des blocages ont également eu lieu, à Anvers, à Gand, à Zeebrugge, ou à Lummen. Plusieurs centres de distribution de chaînes agroalimentaires étaient, eux aussi, toujours bloqués ce jeudi.


Et maintenant ?

À l’issue de la journée de manifestation à Bruxelles et d’une rencontre jugée “décevante” avec des responsables européens, la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA) a annoncé qu’elle allait poursuivre ses actions, en ciblant les dépôts d’enseignes de la grande distribution.

”Nous sommes fortement déçus », a déclaré jeudi soir Florian Poncelet, président de la FJA. « Nous avons été entendus mais nous n’avons pas reçu de réponse. Rien. Ils ont trouvé 50 milliards d’euros pour l’Ukraine mais pour l’agriculture, il n’y a pas un milliard”, a déploré le jeune agriculteur alors que se tient à Bruxelles un sommet européen extraordinaire consacré à l’aide à l’Ukraine.

Toujours “déterminés” après cette mobilisation jugée “impressionnante”, les agriculteurs ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. “Notre détermination est plus grande encore ce soir que ce matin”, a conclu Florian Poncelet.