Tunisie

Tunis au temps de la misère « en poudre » – Actualités Tunisie Focus

Dans le quartier populaire d’El Hafsia, pendant les années Soixante marquées par une pauvreté quasi générale , il y avait à côté de l’école Docteur Kassar un local avec une longue devanture couverte de tuiles rouges . L’endroit est devenu maintenant un stade municipal fréquenté par les jeunes du quartier.

Les enfants, moi compris , faisions la queue devant une large fenêtre et chacun de nous prenait un petit bol métallique ( el Karr) – qui veut dire tout simplement le quart de litre –

On nous versait un lait de couleur à mi-chemin entre le gris et le blanc, le goût de ce liquide était particulièrement infecte. C’était le lait en poudre que les Américains donnaient à notre pays gratuitement.

Moi , je me contentais d’un bout de pain beurré au goût étrangement salé. Le beurre aussi était un don Américain.

Dans l’avenue Beb Bnet se trouvait un local avec un sous-sol qui grouillait de rats , il se situe en face du Palais de Justice. ( Ce local est maintenant un café) .

Là étaient stockés des manteaux, des couvertures et surtout des espadrilles sordides dont l’odeur n’a pas quitté mes narines jusqu’à aujourd’hui.

Le Dimanche était jour de distribution car pendant la semaine le spectacle des gens qui se bousculaient n’était pas toléré. Il fallait cacher cette misère que tout le monde connaissait mais que personne ne voulait voir .

Une queue interminable composée exclusivement de femmes qui prenaient leur mal en patience , la file était gardée par des éléments du parti au pouvoir . Il n’était pas rare toutefois que des bagarres éclatent et que des cheveux soient tirés au milieu d’un flot d’insultes fusant de toutes parts .

Celles qui atteignaient l’entrée du local prenaient des colis qu’elles s’empressaient de cacher sous leurs Sefsari et de s’éclipser comme des fantômes.

Puis , lorsque les poux et la gale ont commencé à faire des ravages dans les rangs des écoliers notamment, les autorités avaient alors aménagé des douches gratuites. À beb le’elouge une douche , tenue par un vieil homme vulgaire , recevait une cinquantaine de garçons chaque jour . Gare à ceux qui dépassaient le temps imparti !!

L’eau était empreinte d’une forte odeur de goudron et de souffre , et le seul savon que nous connaissions était ce savon vert qui dégageait une puanteur très spéciale .

C’est ce fil de souvenirs pénibles que j’ai vu passer devant moi lorsque j’ai lu , cinquante ans plus tard , que la loi de Finances 2023 prévoit de nous ramener vers ce lait infecte, vers ce malheur entier et cette misère « en poudre » .

Ben Ahmed Sobhi