France

Participer à « Koh-Lanta » pour que votre enfant soit « fier de vous », c’est risqué

« Je participe à « Koh-Lanta » parce que je veux que mes enfants soient fiers de moi. » Si l’on jouait au bingo des phrases clichés du jeu d’aventure de TF1, celle-ci serait cochée à chaque épisode. On ne compte plus les aventuriers et aventurières qui, chaque année, jouent la carte du parent héroïque. 

Célia, première éliminée de la saison en cours de diffusion nous confiait ainsi que son départ anticipé était pour elle « le pire scénario possible » et qu’elle n’était « pas digne de (ses) fils ». Au bout du fil, on sentait que la maman de 49 ans ne rigolait pas : plusieurs mois après le tournage, elle ne s’était pas remise de sa contre-performance au parcours du combattant. « Je voulais qu’ils soient fiers de moi et là, ce ne sera pas le cas », ajoutait-elle alors que ses deux grands garçons de 18 et 22 ans n’avaient pas encore vu l’émission. 

« Quand mon fils a su que j’étais candidat, il était fou »

Alexandre, autre aventurier du « feu sacré », nous assurait souhaiter faire la fierté de sa progéniture : « Quand mon fils a su que j’allais être candidat, il était fou. Un jour où je l’ai accompagné à l’école, il a dit à la maîtresse : « C’est mon papa qui a fait Koh-Lanta ! ». Mes nièces aussi posent plein de questions. »

Elodie, également engagée dans la saison actuelle, n’a pas d’enfant mais dit comprendre ces parents. « On a chacun une raison de s’inscrire à « Koh-Lanta ». Moi, je voulais prouver que j’étais une battante et prendre une revanche sur la vie. Cependant, personne sur l’île n’était là uniquement pour ses enfants. Au fond on aime tous le dépassement sportif, l’aventure, aller au bout de nous-mêmes. »

Pavé dans la mare : n’y a-t-il pas un peu d’hypocrisie dans le discours de ces parents ? Le pédopsychiatre Stephane Clerget ne nous suit pas vraiment sur ce procès d’intention. « Les candidats sont sans doute en partie sincères parce que » eux-mêmes sont fiers d’aller à « Koh-Lanta ». Alors ils pensent que leurs enfants, qui sont leur prolongement, le sont également. » Le docteur ajoute un mais : « C’est aussi une façon de balayer une éventuelle culpabilité. Celle d’être absent, de s’amuser loin de ses enfants. Mais aussi celle de porter préjudice à ses enfants. D’expérience, pour certains dont les parents ont fait de la téléréalité, ce n’est pas évident. Au collège, les camarades peuvent être moqueurs. L’idée que les parents puissent s’afficher, ce vedettariat, une partie peut en souffrir entre 11 et 14 ans. »

« Décevoir son enfant sur le plan moral est un risque »

Même s’ils ont entre 21 et 30 ans, les enfants de Christine, autre aventurière de l’actuelle saison de « Koh-Lanta » lui avaient confié leurs inquiétudes. « Ils avaient peur de savoir comment j’allais être perçue et s’interrogeaient sur les retombées, raconte la quadragénaire. Ils sont rassurés car il se trouve que ce n’est que du positif. »

Il est vrai que si l’émission phare de TF1 joue pleinement la carte de l’héroïsme et de l’aventure, des valeurs globalement positives, elle est aussi propice aux propos mesquins, aux stratégies tordues, aux trahisons… « Certaines séquences ne sont pas toujours au bénéfice du candidat qui peut se sentir ridicule ou dévalorisé, reprend Stephane Clerget. Décevoir son enfant sur le plan moral est aussi un risque – mais on peut aussi être décevant à la maison. »

Comment alors, gérer la honte que l’on peut inspirer à son petit ? « Le risque peut être modulé si on lui explique que c’est une émission où on joue un rôle, que c’est comme une fiction, répond-il. Aujourd’hui, les plus jeunes comprennent bien les notions de scénarios, les exigences de l’audiovisuel. Ils peuvent entendre qu’on joue un personnage. C’est plus embêtant auprès des camarades de classe, surtout au niveau collège, qui risquent de critiquer l’enfant. Là, ce sera plus dur de se défendre. »

« Un autre regard sur les parents »

Cependant, pour l’auteur de Hypersensibles, hyperamoureux paru aux éditions La Musardine, il n’y a pas de quoi s’interdir d’aller crapahuter à la dure au milieu de l’océan Pacifique devant les caméras de TF1 pour protéger le petit dernier. Au contraire. 

« C’est intéressant pour les enfants d’observer leurs parents dans un autre contexte que celui de la maison, de les voir dans leur vie sociale, dans la rue et, pourquoi pas, dans une émission de télé. Cela leur donne un autre regard : leurs parents ne sont pas que ça mais aussi des gens qui aiment, s’amusent, font du sport. Aujourd’hui, on est tellement sur le dos de nos enfants, on se sent tellement coupables de ne jamais en faire assez pour eux, que c’est une bonne chose pour l’enfant de se dire qu’il n’est pas à 100 % le centre d’intérêt de ses parents. Cela le pousse à regarder ailleurs qu’autour de son nombril. »