France

Congrès de la CGT : Sophie Binet, écolo, féministe et symbole d’un « renouvellement de génération »

Du renouveau à la CGT. A l’issue du 53e congrès de la Confédération générale du travail, Sophie Binet, 41 ans, devient la nouvelle secrétaire générale du syndicat. Une surprise pour tous. Jusqu’ici, étaient pressenties à la tête du syndicat Marie Buisson, soutenue par Philippe Martinez, et Céline Verzeletti, cosecrétaire générale de l’Union Fédérale des Syndicats de l’Etat-CGT (UFSE). Mais à l’issue d’une semaine de déchirement interne, Sophie Binet, la secrétaire générale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Ugict-CGT) a remporté le vote des près de 1.000 délégués syndicaux.

Cette ancienne conseillère principale d’éducation (CPE) au lycée professionnel à Marseille et à celui de Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) de 2008 à 2010, née en 1982, devient ce vendredi la première femme à accéder à ce poste en 128 ans d’existence de la CGT. D’autant plus que Sophie Binet, « jeune femme féministe, reconnue de tous depuis une dizaine années pour son engagement en faveur de l’égalité professionnelle, de la mixité et pour son combat contre les violences sexistes et sexuelles », comme le décrit Sophie Pochic, sociologue et directrice de recherche au CNRS, dénote du profil classique des secrétaires générales du syndicat.

« Une féministe de lutte de classes »

Le premier discours de cette ancienne militante de l’Unef et du PS a donné le la. « Des orientations claires en matière de féminisme, d’égalité femme homme et luttes contre les violences sexistes et sexuelles » ont été votées, avait-elle déclaré. Sophie Binet « incarne un féminisme de lutte de classes et reflète un rapprochement entre féminisme et syndicalisme », précise Sophie Pochic. En 2019, la syndicaliste avait cosigné l’ouvrage Féministe, la CGT ? Les femmes, leur travail et l’action syndicale. Les luttes contre ces violences « ne peuvent pas être secondaires », avait martelé la secrétaire générale ce vendredi matin.

« C’est effectivement la première femme à la tête de la CGT mais un autre aspect est très novateur chez Sophie Binet : elle vient de l’Ugict-CGT », analyse Stéphane Sirot, historien et spécialiste des mouvements sociaux. Car oui, l’Ugict, créée en 1963, a toujours été regardé avec méfiance par les ouvriers. Cet élément du profil de la secrétaire générale symbolise « la concrétisation de ce changement du paysage syndical » pour l’historien. « La CGT devient une organisation moins industrielle. Quand on regarde les statistiques, les techniciens et cadres sont plus syndiqués que les employés et les ouvriers ». Et les cadres sont un vivier de travailleurs à syndiquer pour la direction de la CGT, qui souhaite prochainement lancer « une grande campagne de syndicalisation ».

Les retraites en guise de premier test

« Cette élection n’était pas gagnée en partant avec ces trois particularités : jeune, femme et cadre », raconte Sophie Pochic, qui connaît bien l’ancienne CPE pour avoir siégé avec elle au Conseil Supérieur de l’Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). « Elle représente aussi un renouvellement de génération », soutient la sociologue.

Sophie Binet apporte avec elle d’autres engagements. Notamment celui du climat. « Les questions environnementales ne sont pas extérieures à notre militantisme quotidien […], ce sont ces questions à porter au quotidien en même temps que nous portons des enjeux sociaux », soutenait la syndicaliste ce vendredi devant les délégués syndicaux, en martelant l’importance d’« être capable de porter au même niveau fin du monde et fin de mois ». La nouvelle secrétaire générale tient également énormément à la protection des lanceurs d’alerte. « Cette oratrice hors pair d’une énergie entraînante », comme l’a décrit la sociologue, va avoir maintenant la lourde tâche de reprendre en main les rênes d’un syndicat déchiré intérieurement tout en s’occupant du brûlant dossier des retraites.

Sur ce point-là, nos spécialistes s’y accordent : cette nomination ne devrait pas changer la ligne directrice de la CGT dans l’intersyndicale. Quelques heures après sa nomination, la cheffe de file annonçait déjà que « l’intersyndicale unie » acceptait le rendez-vous proposé par Élisabeth Borne le 5 avril « pour exiger le retrait de la réforme », sous les chants des militants de la fédération Mines Energie : « Emmanuel Macron, si tu continues, il va faire tout noir chez toi ». D’après Sophie Pochic, la nouvelle secrétaire générale n’aura pas de problèmes techniques à reprendre le sujet des retraites, ayant organisé des webinaires notamment sur les inégalités homme-femme produites par cette réforme. De toute façon « nous ne lâcherons rien », a martelé la syndicaliste. « Elle est déterminée, enthousiaste, charismatique », soutenait à l’AFP Thomas Deregnaucourt, membre de l’Ugict. Son premier baptême du feu aura lieu la semaine prochaine, lors de la réunion avec la Première ministre le 5 et lors la prochaine journée de mobilisation intersyndicale le 6 avril.