Belgique

« Nous travaillons avec un public en pleine souffrance. Et quand il y a de la colère ou de la violence, on ne juge pas car on comprend »

Parmi eux, les Restos du Cœur de Saint-Gilles (situé rue de Bosnie, également à proximité de la gare du Midi à Bruxelles). S’il n’est pas courant de voir cette association faire la Une et se mobiliser pour dénoncer ce type de situations, Julie Turco, coordinatrice des Restos du Cœur saint-gillois estime qu’il était nécessaire de se joindre aux discussions lancées par Doucheflux tant la crise est profonde.

La proximité avec la gare du Midi, attirant des publics plus compliqués, n’est-elle pas l’un des éléments qui explique la problématique, interroge-t-on ? Julie Turco nuance. “Oui, on constate qu’il y a de plus en plus de situations problématiques, et de plus en plus de publics en errance. Ne trouvant aucune solution, ils adoptent des fonctionnements autodestructeurs. Mais il n’y a pas de travail de fond nous permettant de véritablement dire que c’est plus problématique dans un quartier ou un autre. Il y a des acteurs plus éloignés, à Schaerbeek ou Ixelles, qui ont d’ailleurs les mêmes problèmes, avance-t-elle. Cela étant dit, par rapport à notre réalité à nous, avec notre public dans notre quartier, notre constat, c’est de dire qu’on aura beau avoir les services sociaux les plus efficaces du monde, si on ne peut pas trouver de solutions pour le séjour, pour le logement ou pour les soins du public qui s’adresse à nous, on est un peu coincés.”

”Certains jeunes ont importé à Zaventem une forme de violence qu’on ne connaissait pas vraiment par ici”

Et d’ajouter : “Donc si cela ne se passe parfois pas bien, si les gens sont en colère, s’ils sont révoltés contre les institutions qui les accueillent, c’est parce qu’ils sont eux-mêmes dans des situations de détresse catastrophiques, sans solution, ni de lumière au bout du tunnel. Cela engendre des comportements agressifs, destructeurs, tout simplement parce que ce qu’ils se prennent dans la tronche, c’est violent”.

« Quand on demande de l’aide, on nous dit d’engager un vigile et de mettre une caméra de surveillance. Ce n’est pas ce type de réponse qui permettra de trouver des solutions de fond. C’est tout le système qui est autour de nous et qui agit contre ces publics qu’il faut réformer »

Trois travailleurs sociaux pour près de 300 bénéficiaires

Mais Julie Turco insiste : dénoncer la hausse des cas de violence ne signifie pas que les publics concernés sont à pointer du doigt. “Nous voyons sur le terrain les raisons de leurs colères. Et on se dit que leurs réactions sont légitimes, c’est pourquoi nous voulons continuer à travailler avec eux et certainement pas contre eux. Si nous déplorons ces situations de violence, d’agressivité, si les travailleurs sont épuisés, cela ne signifie pas qu’on veut arrêter de travailler avec ces publics. Non. Ce que nous voulons, c’est mieux les recevoir.”

Sauf que pour mieux recevoir les bénéficiaires des Restos du Cœur, Julie Turco explique que l’association a dû se débrouiller, d’elle-même, pour trouver des solutions plus appropriées et générant moins de tensions. “Il y a peu, nous proposions un accueil de soirée tout public et accessible sans conditions. Conséquence : on s’est retrouvés, fin 2022, avec presque 300 personnes par jours (soit un peu plus de 2000 par an) alors qu’il y a une équipe de 3 travailleurs sociaux. C’est ingérable. On ne peut pas. Certainement pas face à un public qui est très fort en demande de suivi et d’attention. Donc nous avons dû changer de système. Aujourd’hui, nous ne sommes plus ouverts en permanence mais sur inscription, ce qui permet de recevoir maximum 30 personnes en salle. Et nous constatons que ces mêmes personnes qui étaient agressives il y a trois mois ne le sont plus du tout aujourd’hui”.

Et de confier toutefois que ces pistes sont loin d’être la panacée. Que les solutions d’un jour ou d’une semaine ne permettent pas d’éviter un regain de colère puisque les problèmes de fond de ces publics, eux, restent souvent sans solution. ” C’est pour ça qu’ils se fâchent et c’est pour cela que nous tirons la sonnette d’alarme également”.

Julie Turco de conclure : “Nous travaillons avec un public en pleine souffrance. Et quand il y a de la colère ou de la violence, on ne juge pas car on comprend. On travaille avec des personnes qui ne reçoivent plus de réponses de la part des autorités, qui ne sont pas acceptées par les CPAS, qui sont recalées par les hôpitaux, qui sont incarcérées pour trois fois rien. On est donc le dernier lien de contact et de confiance avec ces publics, et on ne veut pas que ça s’arrête. On veut continuer à pouvoir offrir le meilleur à tous. Sauf que nous n’avons ni des locaux adaptés, ni des effectifs en suffisance, ni des moyens financiers. Donc on se débrouille. Quand on demande de l’aide, on nous dit d’engager un vigile et de mettre une caméra de surveillance. Ce n’est pas ce type de réponse qui permettra de trouver des solutions de fond. C’est tout le système qui est autour de nous et qui agit contre ces publics qu’il faut réformer”.