Belgique

”Mon choix n’est certainement pas d’acheter plus de F-35. Cela ne correspond pas à ce qui nous est nécessaire”

Considérez-vous que la norme des 2 % reste un horizon à atteindre ? Le PS, dans son programme en vue des élections du 9 juin, ne fait pas mention de cet objectif.

Nous, au-delà de l’avoir écrit, on a surtout posé des actes pour avancer dans cette direction. Quand je suis arrivée à la Défense (en 2020), il y avait un budget de 3 milliards d’euros par an. On est aujourd’hui à plus de 5 milliards. Le plan Star prévoit 11 milliards d’investissements (d’ici 2030) et on a dégagé 1 milliard supplémentaire pour le readiness (la capacité de l’armée à faire face à des urgences, NdlR). On a dessiné cette trajectoire de croissance en bons gestionnaires des deniers publics. Pour moi, il faut poursuivre la trajectoire pour des raisons évidentes de sécurité. J’ai aussi toujours dit que l’important n’était pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux, de façon complémentaire avec nos alliés.

L’objectif des 2 % du PIB en dépenses militaires divise les partis: “Il ne s’agit pas forcément de dépenser plus, mais surtout de dépenser mieux”

Mais faut-il accélérer la trajectoire, comme le propose le Premier ministre ?

La question fondamentale est de savoir où trouver les moyens. Pour monter à 2 %, il faut compter à peu près 7 milliards d’euros de plus par an, ce qui équivaut à un tiers du déficit budgétaire belge actuel. Le gap est énorme.

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Pour monter à 2 % du PIB en dépenses militaires, il faut compter à peu près 7 milliards d’euros de plus par an. Le gap est énorme. (…) Pour nous, socialistes, la priorité des priorités, c’est d’augmenter le salaire poche des travailleurs.

Alexander De Croo propose de réduire les dépenses sociales pour y arriver.

J’imagine qu’il parlait au nom de l’Open VLD, pas en tant que Premier ministre. En tout cas, je n’ai jamais vu cette proposition sur la table du gouvernement. Pour nous, l’augmentation des dépenses de défense ne se fera certainement pas au détriment de notre autre filet de sécurité, qui est la sécurité sociale, ou d’autres départements qui ont déjà subi des économies. Il y a des moyens à aller trouver dans la taxation des grands patrimoines et dans la richesse au sens large. La décision reviendra au prochain gouvernement.

En fonction des moyens disponibles, la priorité doit-elle être l’augmentation du budget de l’armée ?

Non. En tant que responsable politique, je me dois de voir la réalité et les besoins des différents départements. Poutine (le président russe) essaie de déstabiliser nos démocraties. Il est important de maintenir l’adhésion de la population. Et cela passe par des choix cohérents, responsables : maintenir la sécurité de la population, évidemment, mais ne négligeons pas la protection du pouvoir d’achat. Pour nous, socialistes, c’est fondamental. La priorité des priorités, c’est d’augmenter le salaire poche des travailleurs. Et d’autres départements méritent aussi d’être refinancés.

Le prochain gouvernement devra-t-il revoir et amplifier le plan Star ?

On a prévu dans le plan Star qu’une actualisation soit opérée à chaque nouvelle législature pour refaire une analyse de contexte et de menaces.

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Avec l’objectif de l’amplifier ?

La décision reviendra au prochain gouvernement en fonction des moyens.

Il y a des acquisitions dont on parle depuis longtemps : des avions de combat F-35 supplémentaires pour monter à une quarantaine d’appareils, une troisième frégate, l’armement des drones… Ces acquisitions ne sont-elles pas inscrites dans les astres ?

L’achat de F-35 supplémentaires va à l’encontre de ce que je mets en place comme politique et de ce qu’on dit aujourd’hui dans le but de renforcer la base industrielle européenne (le F-35 est de fabrication américaine, NdlR). Moi, je me suis inscrite dans la dynamique du Scaf (le futur avion de combat européen, NdlR).

Mais le Scaf, ce n’est pas avant 2040. Entre-temps, ne faudra-t-il pas renforcer la capacité F-35 ?

Évitons de se précipiter et d’acheter des capacités qui ne nous sont pas directement nécessaires simplement pour atteindre un pourcentage. Et là, je reviens avec la question de savoir comment on dépense ces 2 %. L’idée, c’est de dépenser mieux, pas simplement dépenser pour atteindre un chiffre. Aujourd’hui, ce qui est fondamental, c’est que les États européens puissent agir de façon complémentaire. Toutes les armées européennes ne doivent pas être équipées de tout, mais, ensemble, on doit pouvoir assurer notre défense collective. La Belgique est par exemple spécialisée dans la capacité de déminage. Il est normal qu’on la renforce et que l’on puisse faire bénéficier d’autres pays de cette expertise. Moi, mon choix n’est certainement pas d’acheter plus de F-35 parce que ça ne correspond pas à ce qui nous est nécessaire et porteur pour l’ensemble des pays partenaires.