Suisse

Une ville suisse brise le tabou du congé menstruel

Environ une femme sur dix en âge de procréer souffre d’endométriose, une maladie qui peut provoquer de graves douleurs pelviennes, en particulier pendant les règles. © Keystone / Alexandra Wey

Fribourg est devenue la semaine dernière la première municipalité suisse à instaurer un congé menstruel pour ses employées. Le pays s’est ainsi engagé dans un débat mondial sur la santé au travail qui vise à briser un tabou tenace.

Ce contenu a été publié le 25 janvier 2024 – 17:20




lematin.chLien externe.

Certaines personnes souffrent de règles abondantes ou douloureuses qui peuvent être invalidantes, expliquait Nicola Pluchino, gynécologue au Centre hospitalier universitaire vaudois, dans le quotidien Le TempsLien externe l’année dernière. «Pour elles, la vie au travail devient impossible et il leur est très difficile de se faire entendre par leurs collègues et leurs employeurs». Environ une femme sur dix en âge de procréer souffre d’endométriose, une maladie qui peut provoquer de fortes douleurs pelviennes, surtout pendant les règles.

Si des personnes s’absentent régulièrement pour de courtes périodes en raison de douleurs menstruelles, un employeur peut commencer à poser des questions, constatait, pour sa part, Aline Bœuf, auteure du livre Briser le tabou des règles, également dans Le TempsLien externe. «Un congé menstruel pourrait résoudre ce problème», considérait la sociologue.

Pourquoi certaines personnes s’opposent-elles au congé menstruel?

À Fribourg, les partis de droite ont fait valoir que les congés médicaux sur le lieu de travail étaient suffisants pour couvrir les besoins en jours de congé. Les employés municipaux peuvent déjà prendre jusqu’à trois jours de congé de maladie sans certificat médical. La droite avait plutôt appelé à une campagne de sensibilisation du public aux maladies gynécologiques, a rapporté la radio publique suisse RTS.

Si le congé menstruel se généralise, il s’agira d’une «étiquette supplémentaire» que les femmes devront porter, en particulier dans le secteur privé, a averti Océane Gex, élue au Parti radical-libéral (droite) sur les ondes de la RTS. Selon elle, les femmes sont déjà victimes de discriminations au travail parce qu’elles portent des enfants, par exemple.

Deux femmes souffrant d’endométriose ont fait part au Temps de préoccupations similaires: elles estiment que la société n’est peut-être pas encore prête à accepter le congé menstruel. «Je crains que cela ne rende certains patrons encore plus réticents à engager des femmes», a déclaré l’une d’entre elles. «Il ne faut pas non plus obliger certaines femmes à en parler si elles n’en ont pas envie», a-t-elle ajouté.

Où en sont la Suisse et les autres pays en la matière?

Il y a encore quelques années, le congé menstruel était considéré comme un sujet «de niche» en Suisse, a constaté Aline Bœuf, interrogée par le magazine suisse FeminaLien externe. Les gens ont vraiment commencé à en parler lorsque le parlement espagnol a débattu d’une législation sur le sujet en 2022. Avant la fin de l’année, la ville de Zurich avait décidé de lancer un projet pilote offrant entre un et cinq jours de congés payés aux employées municipales souffrant de douleurs menstruelles «fortes et régulières».

Ce projet pilote a incité une conseillère municipale de Lausanne, Audrey Petoud, à soumettre une proposition pour une expérience similaire dans sa ville.

Les résultats du projet zurichois ne sont pas encore connus. Marco Taddei, de l’Union patronale suisse, a cependant déclaré que le projet permettait de faire le point sur la situation. «Les employeurs, qui sont souvent des hommes, doivent prendre conscience de ce problème – c’est une bonne chose d’en parler», a-t-il déclaré au Temps.

Entre-temps, l’Espagne est devenue le premier pays d’Europe à introduireLien externe le congé menstruel. En février 2023, le parlement a adopté un projet de loi autorisant les femmes souffrant de menstruations douloureuses à prendre jusqu’à cinq jours de congés payés sur présentation d’un certificat médical.

La ministre espagnole de l’égalité, Irene Montero, a qualifié le projet de congé menstruel de loi d’historique pour les droits des femmes. Keystone / Ballesteros

La France est en train de discuter d’une législation similaire. Dans ce pays, quelques entreprises privées, comme le géant de la distribution Carrefour, offrent déjà un congé menstruel. Une tentative d’introduction d’un tel congé en Italie a échoué en 2017. Sur le continent africain, depuis 2015, les Zambiennes peuvent prendre un jour de congé par période de menstruation sans certificat médical.

En Suisse, les gens se posent maintenant des questions sérieuses sur le concept, a encore relevé dans le Temps Aline Boeuf. Les femmes voudront-elles même prendre ce congé?

«J’ai l’impression qu’il y a 10 ou 20 ans, on se posait la même question à propos du congé de maternité», a remarqué la sociologue. Les femmes craignaient pour leur carrière. En Suisse, le congé de maternité payé de 14 semaines a été introduit en 2005 et il est l’un des plus courts des pays développés.

Mais les temps ont changé: il n’est plus considéré comme approprié pour les employeurs potentiels de demander aux femmes si elles ont l’intention d’avoir des enfants. Et avec le temps, les idées sur les menstruations changeront et il sera également inapproprié de demander à une candidate à un emploi si elle devra prendre des congés en raison de règles douloureuses, selon Aline Bœuf.

Il est intéressant de noter que le projet de loi espagnol comprenait une disposition – finalement supprimée de la version finale – visant à éliminer ou à réduire la taxe sur les ventes de produits d’hygiène féminine. La «pauvreté menstruelle» est une autre source de débat dans de nombreux pays, dont la Suisse, où la réduction des taxes sur ces produits fait l’objet de discussions parlementaires.

D’où vient le concept de congé menstruel?

En 1922, l’Union soviétique a introduit un congé menstruel rémunéré de deux à trois jours par mois destiné aux ouvrières d’usine. Cette politique a été abandonnée par la suite, mais on ne sait pas exactement quand, affirment des chercheurs de l’université de Sydney, en Australie.

Les autres pionniers se trouvent en Asie. Le Japon a mis en place un congé menstruel d’un jour depuis 1947. L’Indonésie et la Corée du Sud l’ont introduit dans les années 1950 – deux jours payés par mois pour la première et un jour, payé ou non, pour la seconde. À Taïwan, les femmes peuvent prendre jusqu’à trois jours par an, rémunérés à la moitié de leur salaire.

Relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’anglais par Katy Romy/sj

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