Maroc-France : l’improbable réaction de l’Algérie à l’exercice militaire «Chergui 2025»

Le ministère des Affaires étrangères algérien a reçu l’ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet, le jeudi 6 mars, pour lui signifier la protestation du gouvernement contre la participation française aux manœuvres militaires conjointes avec le Maroc prévues en septembre 2025. Lounes Magramane, secrétaire général du ministère algérien des Affaires étrangères, a dénoncé la «gravité» des exercices prévus en septembre prochain à Errachidia, «non loin de la frontière algérienne», baptisés «Chergui 2025», un nom qui, selon lui, est «très évocateur». Le ministère algérien des Affaires étrangères a même considéré cet exercice comme «un acte de provocation à l’égard de l’Algérie» et que ce comportement pourrait aggraver la crise actuelle des relations algéro-françaises et accroître les tensions entre les deux pays. Il a ainsi exigé que la France fournisse des éclaircissements et transmette la position de l’Algérie à ses autorités. Cette convocation intervient alors même qu’aucune annonce officielle concernant ces exercices n’a été faite.
Pourtant, en 2022, un exercice similaire, «Chergui 2022», avait été organisé par le Maroc et la France dans la même région, sans susciter la moindre réaction officielle d’Alger. L’argument avancé par Alger est tout bonnement fallacieux et incohérent. Car, faut-il rappeler, le Maroc multiplie les exercices militaires avec ses alliés, et ce depuis des années. Depuis des années, le Royaume accueille «African Lion», l’un des plus grands exercices militaires du continent, mené en partenariat avec les États-Unis et impliquant des milliers de soldats de plusieurs nationalités. En juin 2024, il s’est déroulé dans plusieurs régions du pays, notamment Agadir, Tan-Tan et même Mahbes, tout près des frontières avec l’Algérie, sans que cette dernière y trouve à redire.
En octobre 2024, la Marine Royale marocaine et la Marine nationale française ont tenu l’exercice «Chebec» en Méditerranée, avec la participation inédite d’un sous-marin nucléaire français. En janvier 2025, le Maroc et l’Espagne ont collaboré sur un exercice anti-incendie, mobilisant leurs armées de l’air pour faire face aux feux de forêt. En novembre 2024, des plongeurs marocains et gibraltariens ont mené une opération conjointe à Ksar Sghir, dans le nord du pays.
À chaque fois, silence radio du côté algérien. L’Algérie n’a jamais dénoncé ces exercices. Elle n’a jamais convoqué un ambassadeur, jamais accusé quiconque de provocation. Mais cette fois-ci, la situation est différente. Ce n’est pas le Maroc qu’Alger veut atteindre, c’est la France avec qui les relations se sont considérablement détériorées.
Le Sahara, au cœur de la colère algérienne
Pourquoi réagir aujourd’hui, alors que des exercices similaires ont eu lieu sans heurts par le passé ? La réponse ne réside pas dans Errachidia ni dans la nature des manœuvres militaires, mais bien dans la crise diplomatique profonde qui oppose Alger à Paris. Le 29 octobre dernier, devant le Parlement marocain à Rabat, le Président français Emmanuel Macron a tranché d’une manière qui a fait l’effet d’un séisme à Alger. Il a affirmé que «le présent et l’avenir» du Sahara s’inscrivent «dans le cadre de la souveraineté marocaine».
Les parlementaires marocains ont applaudi, l’Algérie a fulminé. Depuis cet instant, la rupture est totale. Alger, qui mène depuis des mois une cabale contre la France, enchaîne les bras de fer, refusant d’accueillir des ressortissants expulsés, incarcérant l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour une déclaration sur le Sahara et, maintenant, dénonçant la participation française aux exercices militaires au Maroc. Elle tente par tous les moyens de faire plier Paris et d’obtenir un revirement sur la question du Sahara. Et quand la diplomatie ne suffit pas, c’est le militaire qui entre en scène.
Manœuvres militaires : deux poids, deux mesures ? L’Algérie, qui crie aujourd’hui à la provocation pour un exercice militaire à Errachidia, n’avait pourtant rien trouvé à redire lorsqu’elle organisait elle-même des manœuvres avec la Russie, à quelques kilomètres de la frontière marocaine. En novembre 2022, «Desert Shield 2022» devait réunir 160 soldats algériens et russes à Hammaguir. Officiellement annulé, l’exercice avait pourtant été confirmé par des agences de presse russes avant que le ministère algérien de la Défense ne le démente. Quelques mois plus tard, en janvier 2023, des sources algériennes révélaient que des troupes russes s’étaient bien entraînées discrètement dans la région de Béchar. L’Algérie a également multiplié les exercices militaires aux frontières marocaines ces dernières années, souvent avec des tirs à balles réelles. En mai 2023, son armée menait des manœuvres dans la région de Béchar. En janvier 2021, c’est au sud de Tindouf qu’elle déployait ses troupes et, quelques mois plus tard, en mai, Oran accueillait un autre exercice militaire. À chaque fois, le message était clair : une démonstration de force à quelques kilomètres seulement du territoire marocain et souvent même avec des balles réelles. Les manœuvres militaires du Maroc ne sont donc qu’un prétexte, une préoccupation secondaire pour Alger. Ce qui constitue la véritable menace à ses yeux, c’est le basculement stratégique de la France, longtemps prudente, qui affiche désormais un soutien explicite à la souveraineté marocaine sur le Sahara. Un basculement qui donne plus que jamais raison à la cause nationale et augure un dénouement proche pour le Maroc et isole l’Algérie diplomatiquement plus que jamais.
Pour Nizar Derdabi, cette manœuvre conjointe entre des militaires marocains et français Chergui 2025 est une opportunité qui vient à point nommé pour Alger afin de cristalliser l’attention et l’hostilité de l’opinion publique contre ces deux pays en suggérant des préparatifs militaires visant la sécurité de l’Algérie. Selon cet enseignant à l’École de Guerre économique, le but de la réaction algérienne est de rallier l’opinion publique au régime militaire en place, qui craint de voir le scénario syrien qui a mené à la chute de Bachar El Assad se reproduire en Algérie.
Questions à l’analyste en stratégie internationale, défense et sécurité, enseignant à l’École de Guerre économique
Nizar Derdabi : «Le but est d’alimenter le narratif servi par le pouvoir militaire au sujet d’une soi-disant Algérie assiégée de toute part»
Pourquoi l’Algérie considère ces manœuvres comme une provocation alors qu’elle mène, à son tour, des exercices avec la Russie près du Maroc ?
Cette manœuvre militaire tout à fait normale sur le territoire marocain est une occasion pour l’Algérie de mettre en branle sa machine de propagande afin d’alimenter le narratif servi par le pouvoir militaire au sujet d’une soi-disant Algérie assiégée de toute part. Ceci cadre parfaitement avec la stratégie de communication du gouvernement algérien qui a l’habitude d’agiter la menace permanente d’une «main étrangère» qui vise à déstabiliser l’Algérie. Et cette manœuvre conjointe entre des militaires marocains et français est une opportunité qui vient à point nommé pour Alger afin de cristalliser l’attention et l’hostilité de l’opinion publique contre ces deux pays en suggérant des préparatifs militaires visant la sécurité de l’Algérie. Le but de cette manœuvre de propagande est de rallier l’opinion publique au régime militaire en place, qui craint de voir le scénario syrien qui a mené à la chute de Bachar El Assad se reproduire en Algérie.
Cette crise militaire est-elle un simple épisode diplomatique ou le signe d’un changement plus profond dans les rapports de force dans la région ? Jusqu’où cette montée des tensions peut-elle aller ?
À mon sens, la réaction infondée et disproportionnée de la part d’Alger n’est qu’un épisode de plus dans la crise politique et diplomatique entre la France et l’Algérie. La diplomatie marocaine, comme à son habitude, ne va donner aucun intérêt ni aucune suite aux agitations vaines et à la stratégie de tension permanente du régime algérien. On va probablement assister à une passe d’armes diplomatique entre Paris et Alger au sujet de cet exercice militaire conjoint, sans que cela n’affecte les rapports de force dans la région.
L’Algérie a-t-elle réellement les moyens de l’escalade dans cette crise ou s’agit-il surtout d’une posture diplomatique sans conséquences concrètes ?
Avec le Maroc, la rupture des relations diplomatiques est déjà le plus haut niveau de crise qui peut exister entre deux pays. Malgré son hostilité affichée contre le Maroc et ses tentatives de provoquer un casus belli comme lors de l’attaque contre les jet-skieurs marocains à Saïdia, le régime algérien est conscient qu’un conflit militaire direct avec le Maroc serait suicidaire. Le Maroc ne cesse de se renforcer sur le plan diplomatique et militaire et toute tentative d’agression serait sévèrement réprimée, avec des conséquences stratégiques désastreuses pour l’Algérie. Avec la France, je ne vois pas la tension s’apaiser, étant donné que le régime algérien est entré dans une volonté de crise prolongée motivée uniquement par la décision française de reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara.