Maroc

Les défis et avancées du système judiciaire selon le dernier rapport du Ministère public

Les tribunaux marocains font face à une réalité de plus en plus intenable : chaque jour, les magistrats du parquet traitent en moyenne plus de 32 procédures, contre 31 l’année précédente. Cette charge de travail considérable, qui ne cesse de croître, constitue l’une des principales observations du septième rapport annuel de la présidence du ministère public, rendu public ce jeudi 6 mars 2025. Le rapport fait état d’une augmentation du taux des procédures effectuées par chaque magistrat du ministère public auprès des tribunaux ordinaires au cours de cette année. En effet, le taux mentionné est passé de 8.223 procédures en 2022 (avec une moyenne journalière dépassant 31 procédures) à 8.599 procédures (avec une moyenne journalière dépassant 32 procédures par jour).

Le document, fruit d’un travail méticuleux de collecte et d’analyse de données, offre une radiographie complète du système judiciaire marocain et de ses évolutions au cours de l’année 2023. «Ce rapport s’inscrit dans une démarche de transparence et de responsabilité envers les citoyens et les institutions de l’État», souligne la présidence du ministère public dans l’introduction du document.

Le bilan de l’année 2023 en chiffres

L’année judiciaire 2023 a été marquée par une intensification significative de l’activité des parquets. Le rapport regorge de chiffres éloquents : 2,4 millions de procès-verbaux traités, 709.590 correspondances administratives enregistrées et 638.544 personnes présentées devant le parquet. Malgré cette charge considérable, les procureurs ont réussi à maintenir un taux de traitement des dossiers remarquable. «Nous avons atteint un taux de traitement dépassant 102% pour les procès-verbaux et environ 95% des affaires pendantes», précise le rapport. Cette performance témoigne d’une efficacité accrue, d’autant plus notable que le nombre de magistrats du parquet est resté relativement stable, avec 1.087 procureurs en fonction fin 2023, contre 1.103 deux ans auparavant.

Le document relève d’ailleurs ce paradoxe : «La stabilisation des effectifs malgré l’augmentation constante de la charge de travail ne permet pas d’établir une proportion adéquate entre l’accroissement des missions et l’évolution du nombre de magistrats du ministère public». Concrètement, chaque procureur a traité en moyenne 8.599 procédures en 2023, contre 8.223 en 2022, soit une augmentation de 4,57%. Cette réalité chiffrée illustre le défi quotidien auquel sont confrontés les magistrats.

Les actions prioritaires menées en 2023

La présidence du ministère public n’est pas restée inactive face à ces défis. Le rapport détaille plusieurs initiatives stratégiques mises en œuvre pour améliorer l’efficacité judiciaire. L’ouverture internationale figure au premier rang de ces priorités. «L’année 2023 a été marquée par la poursuite de l’ouverture du ministère public sur son environnement et l’élargissement de ses horizons de coopération aux niveaux national et international», peut-on lire dans le document. Concrètement, cette politique s’est traduite par la participation à de nombreuses rencontres nationales et internationales, la finalisation de programmes de jumelage avec les ministères publics, et la signature de mémorandums de coopération avec plusieurs pays amis.

La transformation numérique constitue un autre axe majeur d’action. Les rédacteurs du rapport indiquent que «la présidence du ministère public a travaillé cette année sur le développement d’applications numériques pour moderniser le travail des parquets et améliorer leurs services.» Parmi les avancées notables figure le développement d’une application de gestion des dossiers de blanchiment d’argent et la création d’une base de données centralisée pour suivre les procédures dans ce type d’affaires. L’échange électronique de données bancaires entre les parquets et Bank Al-Maghrib a également été optimisé, «permettant d’accélérer les recherches préliminaires et de réduire le temps d’obtention des informations sur les comptes bancaires à seulement 15 minutes».

En matière de formation, l’année 2023 a vu l’organisation de plusieurs cycles de renforcement des capacités des magistrats du parquet, touchant 1.803 participants au total. Ces formations ont porté sur «des thématiques diverses et actuelles liées aux priorités de la politique pénale, comme la promotion de la culture des droits humains et la protection des catégories vulnérables.»

Les avancées dans les domaines prioritaires

Le rapport met en lumière des progrès significatifs dans plusieurs domaines considérés comme prioritaires par la présidence du ministère public. Concernant la protection des droits humains, les parquets ont traité avec rigueur les allégations de torture et de mauvais traitements. «Au cours de l’année 2023, les parquets ont reçu 187 plaintes concernant des allégations de violence, 84 plaintes concernant des allégations de mauvais traitements et 13 plaintes concernant des allégations de torture», détaille le rapport. Le document précise également que 300 examens médicaux ont été ordonnés pour les personnes présentées devant le ministère public.

Le rôle préventif du parquet s’est également manifesté par l’augmentation des visites des lieux de détention : 22.032 visites aux lieux de garde à vue (116,25% du nombre de visites légalement requises), 1.058 visites aux établissements pénitentiaires (117% des visites requises légalement) et 198 visites aux établissements de traitement des maladies mentales et psychologiques (155% des visites requises légalement).

En matière de protection des femmes et des enfants, le rapport signale une augmentation préoccupante des affaires de violence contre les femmes, qui sont passées de 28.816 en 2022 à 29.950 en 2023. De même, les crimes contre les enfants ont connu une hausse, avec 9.106 affaires enregistrées impliquant 9.624 personnes, contre 7.931 affaires et 8.450 personnes en 2022.

«Le nombre d’enfants victimes a également connu une augmentation notable cette année, atteignant 9.357 victimes, alors qu’en 2022, ce nombre ne dépassait pas 8.159 victimes», précise le document. La lutte contre la traite des êtres humains a également progressé, avec une augmentation de 23,64% des affaires traitées, passant de 84 en 2022 à 110 en 2023.

Les défis identifiés et les perspectives

Malgré ces avancées, le rapport ne cache pas les défis considérables auxquels fait face le système judiciaire marocain. Le surpeuplement carcéral figure parmi les préoccupations majeures. Si le taux de détention provisoire a diminué pour atteindre 37,56% de la population carcérale fin 2023, le rapport note que «la population pénitentiaire a connu une augmentation au cours de l’année 2023, dépassant le seuil de 100.000 détenus au mois d’août». Cette situation a nécessité « la publication d’un communiqué à l’opinion publique pour expliquer les raisons de cette augmentation» et l’organisation de «plusieurs réunions avec les secteurs concernés pour traiter les problèmes de surpopulation dans les prisons».

Le traitement des dossiers complexes comme le blanchiment d’argent continue également de poser des difficultés. «Sur les dossiers enregistrés en 2020, il ne reste que 3 procès-verbaux en cours d’enquête, mais 1.349 procès-verbaux datant de 2.021 sont encore en cours de traitement», reconnaît le rapport, qui attribue ce retard à «la complexité de l’infraction de blanchiment d’argent et aux expertises financières qu’elle nécessite».

Des recommandations pour améliorer l’efficacité judiciaire du parquet

Face à ces constats, la présidence du ministère public formule plusieurs recommandations précises visant à renforcer l’efficacité du système judiciaire. En tête de ces préconisations figure l’augmentation des ressources humaines. «Il est impératif d’accroître le nombre de magistrats du ministère public et de combler le déficit enregistré, estimé à environ 1.000 magistrats», insiste le rapport. Les rédacteurs soulignent que cette augmentation «permettrait aux responsables des parquets de disposer d’une marge de manœuvre plus large pour une gestion optimale des ressources humaines».

La modernisation des infrastructures et des systèmes d’information constitue un autre axe prioritaire. Le rapport préconise «l’amélioration des systèmes informatiques liés au travail des parquets, notamment le système Saj2, pour couvrir toutes les étapes des procédures transitant par le ministère public». Il recommande également «la création de mécanismes de recherche intelligents et de tableaux de bord avancés permettant aux parquets le suivi automatique de la situation de la détention provisoire».

Le développement des alternatives à la détention provisoire est également mis en avant, avec un appel à «l’adoption de textes juridiques appropriés pour développer les alternatives à la détention provisoire et les peines alternatives». Le rapport suggère «d’habiliter le ministère public près les Cours d’appel d’exercer l’action publique en état de liberté à l’égard des personnes poursuivies, afin de rationaliser la détention provisoire». «L’adoption rapide des textes encadrant la réforme des professions juridiques et judiciaires» figure également parmi les recommandations, tout comme «l’élaboration de solutions législatives pour surmonter les difficultés pratiques liées à l’exécution des peines privatives de liberté en cas de multiplicité des ordres d’incarcération».

Le rapport appelle à un effort coordonné de tous les acteurs du système judiciaire pour relever ces défis et poursuivre la modernisation de la justice marocaine, tout en préservant les droits et libertés des citoyens conformément aux Orientations Royales visant à compléter l’édification de l’État de droit.