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À Gaza, le patrimoine culturel anéanti – Actualités Tunisie Focus

Les bombes visent aussi la culture vivante et le patrimoine immatériel. Comme si l’intention était d’effacer une mémoire.

Une opinion de Jean-Louis Luxen, administrateur général honoraire de la FWB Ancien Secrétaire général de l’Icomos

Depuis quatre mois, en riposte au massacre du 7 octobre par le Hamas, l’armée israélienne soumet Gaza à des bombardements constants, avec destructions massives. Certes, les préoccupations prioritaires vont aux dizaines de milliers de morts et de blessés, dont nombre de femmes et d’enfants, et sur la situation humanitaire catastrophique qui résulte du blocus et du déplacement de la population. Il importe toutefois d’attirer l’attention sur l’anéantissement en cours du patrimoine culturel.

La bande de Gaza se situe sur les voies de communication millénaires entre l’Égypte et le Croissant fertile. Le patrimoine de Gaza portait le témoignage d’un carrefour de civilisations exceptionnel, en sites archéologiques, bâtiments historiques, édifices religieux, ou quartiers urbains traditionnels de l’époque mamelouke. Il faut écrire “portait”, compte tenu de l’état désastreux auquel est réduit ce patrimoine.

Dégâts extrêmes, souvent irréversibles

La grande difficulté, voire l’interdiction d’accès au territoire ne permet pas une évaluation précise des dégâts, mais, selon les diverses informations disponibles, ils semblent extrêmes et souvent irréversibles. Exemples de destructions : le site archéologique de Tell al-Abul (IIIe millénaire av. J.-C.), la grande mosquée Omari (VIIe siècle), l’église byzantine de Jabalie (Ve siècle), l’église Saint-Porphyre (Ve siècle), le monastère de Saint-Hilarion (IVe siècle) inscrit sur la liste indicative du Patrimoine mondial de l’Unesco, pour ne citer que quelques sites majeurs.

Ces destructions résultent de bombardements intensifs confondant cibles civiles ou militaires. Parfois, des immeubles patrimoniaux semblent avoir été délibérément visés, comme des bibliothèques, un dépôt d’archives ou des musées et leurs collections, notamment le musée Al Qarara. Au-delà des destructions physiques, c’est la culture vivante et le patrimoine immatériel des Palestiniens de Gaza qui subissent des pertes incalculables. Comme si l’intention était même d’effacer leur mémoire.

Dans le droit international, des dispositions portent spécialement sur la sauvegarde du patrimoine culturel : la Convention de La Haye de 1954 et ses deux protocoles sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé ; les Conventions de l’Unesco de 1972 et 2003 pour la protection du patrimoine mondial ; le Statut de Rome ; la Résolution 2347 du Conseil de sécurité de l’Onu. Sur ces bases, les vandales qui avaient détruit les mausolées de Tombouctou, par exemple, ont été inculpés et condamnés. Mais, à Gaza, comme dans ses nombreuses autres prescriptions, le droit international est délibérément ignoré.

La cohésion d’une communauté

Dans un passé récent, des scientifiques israéliens et palestiniens, dans le cadre de programmes internationaux de coopération universitaire ou professionnelle, parvenaient à mener des travaux scientifiques communs, se détachant des préjugés idéologiques et des objectifs politiques qui, trop souvent, pervertissent les recherches archéologiques. Des historiens israéliens comme Israël Finkelstein et Neil Silberman, dans La Bible dévoilée, établissaient la part des faits et des légendes d’un passé partagé. Shlomo Sand, de son côté, se livrait à une rétrospective historique du peuplement du territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain. L’exacerbation des tensions sous l’actuel gouvernement israélien et la violence des conflits en cours compromettent ces démarches de dialogue, pourtant essentielles pour la coexistence des peuples habitant la Terre sainte.

Quand on considère l’importance du patrimoine culturel pour la cohésion sociale d’une communauté, son sentiment d’appartenance et d’identité, on ne peut s’empêcher d’établir un lien entre l’anéantissement en cours du patrimoine palestinien, matériel et immatériel, avec les récentes graves mises en garde de la Cour de justice internationale de La Haye.