Belgique

Dans le bus de Layla, les gens sont « surpris » par le comportement de la conductrice

Il est midi-trente lorsque Layla Rifi s’installe, comme chaque jour, au volant de son bus. Ses ongles vernis en blanc, son rouge à lèvres fuschia et ses multiples bijoux contrastent avec la sobriété de son uniforme bleu foncé de la STIB. Cet après-midi, elle assure le fonctionnement de la ligne 60, qui relie Ambiorix à Uccle Calevoet. Le soleil de ce début de septembre est rayonnant, tout comme son sourire. Après avoir effectué les réglages nécessaires, elle monte le volume du micro de la cabine conducteur. « J’utilise toujours le micro, donc je le mets toujours au maximum. » explique-t-elle. Ancienne secrétaire de direction lassée par son travail de bureau, Layla est devenue conductrice de bus STIB il y a quatre ans. « J’ai toujours adoré conduire. Parfois je partais de chez moi en voiture et je roulais sans destination, donc j’ai voulu en faire mon métier. J’avais le choix entre taxi et bus, et je me suis dit que le bus serait un plus grand défi. » Une décision étonnante, bien que de plus en plus récurrente, puisque la STIB a connu une augmentation du nombre de conductrices ces dernières années.

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Au départ d’Ambiorix, seules deux passagères sont présentes dans le bus, au grand dam de Layla. Au contraire de ses collègues, ses lignes préférées sont celles où il y a le plus de monde. Elle confie détester conduire des bus vides car son rôle, rappelle-t-elle, « c’est de transporter des personnes ». Les deux passagères descendent dès le premier arrêt. Layla les salue avec le micro : « Messieurs-dames, je vous souhaite une bonne après-midi ensoleillée, au revoir. » Ce à quoi les deux dames répondent par un bref « merci ». A partir de l’arrêt suivant, le bus se remplit peu à peu, à la plus grande joie de sa conductrice. De trois, l’on passe rapidement à cinq, dix, puis quinze passagers, qu’elle prend le temps de saluer un à un.

Au bout du quatrième arrêt, une dame âgée monte dans le bus. Layla s’empresse de la complimenter. « Vous êtes toute belle« , lui glisse-t-elle, avant de la rassurer. « Prenez le temps de vous asseoir, je vous attends avant de démarrer. » Selon elle, ces simples mots ont le pouvoir d’impacter l’ambiance qui règne dans le véhicule. « Dans mon bus, il y a souvent du silence parce que les gens sont surpris. Parfois, cela crée aussi des discussions entre les passagers.« 

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Ancienne secrétaire de direction lassée par son travail de bureau, Layla est devenue conductrice de bus STIB il y a quatre ans. ©cameriere ennio

« J’avais l’impression que personne ne m’avait vue (…) je n’avais ni un bonjour, ni un merci »

Layla assure que ses élans de bonne humeur sont une initiative personnelle et dépassent les consignes de politesse de base dictées par la STIB. « Quand j’ai eu mon permis bus, j’avais l’impression d’avoir fait l’impossible, donc j’étais contente. Une femme au volant d’un bus de 18 mètres, ce n’est pas commun. Mais j’avais l’impression que personne ne m’avait vue, que personne n’avait valorisé ce travail que j’avais fait. J’avais déposé des gens à l’école, j’avais déposé des amoureux pour se retrouver … et je n’avais ni un bonjour, ni un merci, et ça me faisait mal au coeur. Donc je me suis dit : ‘Je vais leur montrer que c’est moi qui les ai conduits.’ Et c’est comme ça que ça a commencé. » Peu à peu, cette résolution s’est transformée en habitude. « Ne pas dire bonjour, ce serait pour moi comme oublier de fermer les portes du bus.« 

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En général, les voyageurs lui renvoient un « bonjour » ou un sourire, exception faite de l’adolescent avec ses écouteurs, resté debout faute de place, et de l’homme âgé qui ne l’a pas entendue. Selon Layla, certains vont parfois jusqu’à faire remarquer aux autres passagers qu’ils n’ont pas répondu, même si elle assure que cela ne l’affecte pas personnellement. D’autres navetteurs, pas habitués à une telle attention, se demandent même s’ils ont commis un méfait, comme oublier de pointer leur abonnement.

La plus grande fierté de Layla, c’est justement la reconnaissance que lui portent ses passagers. Avec tendresse, elle évoque le souvenir marquant d’une dame âgée qui a fondu en larmes face à sa gentillesse. « Elle m’a dit qu’en 40 ans de transports en commun, on ne l’avait jamais aussi bien traitée. C’était pendant le Covid, donc c’était difficile car je voulais la prendre dans mes bras, mais je ne pouvais pas. » La réaction de cette dame reste, à ce jour, le plus beau compliment qu’elle ait jamais reçu.

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La plus grande fierté de Layla, c’est la reconnaissance que lui portent ses passagers. ©cameriere ennio

De conductrice de bus à star des réseaux sociaux

Plusieurs dizaines de minutes sont passées depuis le début du trajet et le bus, qui s’approche maintenant de l’arrêt Flagey, est ralenti par des embouteillages. Une voiture accidentée bloque la moitié de la rue, compliquant le passage du véhicule. La police est sur place. Soudainement, un agent d’une vingtaine d’années s’approche de la vitre de Layla. « Tu ne me connais pas, mais moi je te connais« , lui lance-t-il avec un grand sourire. Elle rit. « Encore un qui m’a reconnue des réseaux sociaux. » Grâce à sa bonne humeur communicative et à sa forte personnalité, la chauffeure de bus est devenue un véritable phénomène au sein de l’entreprise de transports en commun bruxellois, ce qui lui vaut d’être régulièrement reconnue à la fois dans les rues de la capitale et sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, où elle est suivie par plus de 112 000 personnes.