Ces agents qui veillent sur l’or bleu wallon: « Le travail des Contrats de rivière est assez méconnu, mais il est essentiel »
À partir de la gare de Jemelle, dans la commune de Rochefort, Merry Frère et Emilie Hella font démarrer leur véhicule et nous emmènent les trois heures suivantes longer les cours d’eau qui ont forgé la vallée. “Le travail des Contrats de rivière est assez méconnu, mais il est essentiel, explique Merry. Notre principale mission est l’inventaire des cours d’eau. On répertorie tous les points d’intérêt et toutes les dégradations qu’on observe : les rejets, les pollutions, les déchets, les érosions, les barrages, les plantes invasives, la biodiversité, etc.”
Près de 2000 kilomètres de cours d’eau
En première ligne sur le terrain, les agents des 14 Contrats de rivière de Wallonie couvrent 11 000 kilomètres de cours d’eau, répartis en 14 sous-bassins hydrographiques. Le Contrat de rivière Lesse s’étend sur les provinces de Namur et du Luxembourg. Il est responsable à lui seul de 1917 kilomètres de cours d’eau, dont la Lesse, la Lomme et la Wamme. Tous les 3 ans, la totalité des berges sont inspectées. “Beaucoup de berges se trouvent sur des propriétés privées. Nous avons un agrément qui nous permet d’y pénétrer pour avoir accès au cours d’eau. Il arrive que des personnes qui ne nous connaissent pas se montrent inamicales au premier abord, mais quand on leur explique ce qu’on vient faire, les gens comprennent et nous demandent même de l’aide pour gérer leur berge.”
La sensibilisation de la population n’est qu’un des nombreux aspects du travail des Contrats de rivière. La préservation de la biodiversité en fait aussi partie. Sur le chemin, Merry et Emilie désignent un nichoir fixé en dessous d’un pont de pierre qui enjambe un ruisseau. “Ici, c’est le Biran. Il se jette dans la Lomme, qui se jette elle-même dans la Lesse. On place des nichoirs à cet endroit pour les cincles plongeurs, une espèce d’oiseaux qui vit proche des rivières et qui fait son nid dans des cavités. Les ponts modernes sont trop lisses, il y a de moins en moins de cavités disponibles, alors on installe des nichoirs.”
Nos espèces indigènes doivent aussi côtoyer des espèces exotiques, souvent envahissantes et problématiques, comme la renouée du Japon ou des espèces d’écrevisses. Emilie a été engagée après les inondations de juillet 2021 pour retirer un maximum de plants de renouées avant que leurs racines ne s’implantent trop profondément et qu’elles deviennent indestructibles. “Avec les inondations, des renouées ont été arrachées et disséminées dans toute la Wallonie. Le problème est qu’elles s’adaptent très bien, elles prennent de la place et des nutriments auquel notre flore locale n’a plus accès, ce qui met en danger sa survie.”
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Gérer les castors
L’équipe du Contrat de rivière Lesse compte également Quentin Pirotte, qui recense les zones où des espèces exotiques envahissantes se sont installées. À côté de sa mission principale, il suit aussi à la trace les castors, espèce bien de chez nous, celle-là, et protégée, mais qui peut parfois causer quelques dégâts. “Il arrive que des crues surviennent à cause de barrages de castors. On a alors tendance à vouloir les détruire à tout prix. Ce n’est pas l’objectif. Il faut trouver des solutions.”
À Eprave, une section de la commune de Rochefort, les traces des castors sont d’ailleurs bien visibles. Un arbre penché au-dessus de l’eau et enraciné sur la berge a été dénudé de son écorce. Les vaguelettes viennent lécher ses racines et noient l’herbe qui pousse tout autour. La rivière donne l’impression d’être à la limite de déborder. “Le niveau de l’eau est haut, il a beaucoup plu ces derniers jours, souligne Merry. C’est une région très calcaire, l’eau traverse le sol et s’infiltre directement dans les nappes phréatiques. Mais on a eu tellement de précipitations ces derniers mois qu’elles sont pleines. Donc l’eau s’accumule en surface maintenant.”
Peu de rejets industriels
Le niveau de l’eau a beau être élevé en cette fin d’hiver, il est encore très loin de la hauteur atteinte en juillet 2021. Dans toute la vallée, l’équipe du Contrat de rivière a placé des repères de crue, une façon d’entretenir le devoir de mémoire dans une région qui n’a pas eu à déplorer de morts mais qui a beaucoup souffert des débordements de l’eau. L’un de ces repères, placé à plus de 2 mètres de hauteur, n’est atteignable qu’à l’aide d’une échelle. “Il a fallu digérer ce qu’il s’est passé. Puis, on a sorti une montagne de déchets de l’eau, on n’en voyait pas le bout. Là, on vient d’engager une personne pour travailler sur des projets de gestion de l’eau en partenariat avec les communes. Pour rendre la vallée plus résiliente.”
Agents de terrain, les membres des Contrats de rivière travaillent toujours en collaboration avec d’autres acteurs pour la suite à donner aux dégradations recensées. “Les cours d’eau sont classés en trois catégories en fonction de leur taille. Les plus petits, de classe 3, relèvent de la responsabilité de la commune. Ceux de classe 2 sont à la charge de la province. Et ceux de classe 1 sont gérés par la Région wallonne. Si un rejet polluant est observé, par exemple, on avertit l’acteur qui est en charge du cours d’eau concerné, et lui fait le nécessaire.”
Dans la région, ce sont surtout des érosions de berges ou les dégâts liés au bétail qui doivent être gérés. “On a très peu de rejets industriels ou de problèmes de grosses pollutions comme dans la région de Charleroi ou en Brabant wallon.” De point d’eau en point d’eau, Merry et Emilie ont toujours une nouvelle histoire à raconter. “On fait aussi du sauvetage de poissons ou des animations dans les écoles. La finalité est toujours la préservation du patrimoine hydrographique.”