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Israël porte un nouveau coup à la création d’un État palestinien – Actualités Tunisie Focus

Le gouvernement israélien vient d’annoncer la saisie de la plus grande parcelle de terre en Cisjordanie occupée depuis les accords de paix d’Oslo en vue d’y bâtir de nouvelles colonies. La zone de 800 hectares se situe dans la vallée du Jourdain, région vitale pour un futur État palestinien.

L’annonce, le 22 mars, par le ministre des Finances et figure de l’extrême droite israélienne Bezalel Smotrich, d’une saisie de 800 hectares de terres en Cisjordanie occupée, n’a pas vraiment surpris Hamza Zbiedat.

Bien que le responsable du Ma’an Development Center, une organisation de la société civile palestinienne, soit basé à Ramallah, sa famille vit à Zubaydat, un village situé près de la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie, juste au nord de la vaste zone désormais déclarée comme terres de l’État d’Israël.

« Israël contrôle entièrement la vallée du Jourdain depuis au moins 15 ans », explique Hamza Zbiedat. « Il ne restait plus à Israël qu’à l’annoncer. »

La vallée du Jourdain est une bande de terre agricole très fertile qui s’étend sur 70 kilomètres le long de la frontière avec la Jordanie. Peu peuplée, elle comprend de nombreuses zones dégagées et non développées, ce qui en fait une réserve précieuse pour le développement futur de la Cisjordanie.

Selon l’ONG israélienne de défense des droits humains B’Tselem, près de 90 % de la région de la vallée du Jourdain se trouvent dans la zone C de la Cisjordanie, restée sous le contrôle sécuritaire et administratif exclusif d’Israël après l’accord d’Oslo II de 1995.

La décision de saisir une partie de ce territoire montre que le gouvernement de Benjamin Netanyahu a l’intention de poursuivre la construction de colonies, malgré le concert de condamnations internationales.

« Alors que certains en Israël et dans le monde cherchent à nier notre droit sur la Judée-Samarie (…), nous encourageons la colonisation avec force travail et d’une manière stratégique dans tout le pays », a lancé Bezalel Smotrich – utilisant le terme biblique pour désigner la Cisjordanie.

La zone saisie couvre 8 000 dounams (800 hectares) situés entre trois colonies israéliennes de Cisjordanie occupée : Massu’a, Ma’ale Efrayim et Yafit.

Quelques semaines plus tôt, le 29 février, Israël s’est approprié 300 autres hectares dans le secteur de la colonie juive de Ma’aleh Adumim, en Cisjordanie occupée.

Selon l’organisation israélienne anticolonisation La Paix maintenant, l’ensemble de ces zones équivaut à la plus importante saisie de terres en territoire palestinien depuis les accords de paix d’Oslo, signés en 1993.

Maintenant qu’Israël a déclaré que des pans entiers de la vallée du Jourdain lui appartenaient, les Palestiniens ne peuvent plus utiliser ces terres.

« Nous pensons que cela favorisera l’expansion des colonies israéliennes », redoute Yonatan Mizrachi, codirecteur de la branche « surveillance des colonies » de La Paix maintenant.

Les colonies israéliennes implantées dans les territoires palestiniens occupés depuis la guerre israélo-arabe de 1967, y compris Jérusalem-Est, sont illégales au regard du droit international.

Le 23 décembre 2016, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2334 qui enjoint à Israël de « cesser immédiatement et complètement toutes activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », soulignant qu’il ne reconnaîtra « aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie de négociations ».

Une bataille perdue d’avance
Toutefois, cela n’a pas empêché l’État hébreu de continuer à s’emparer de territoires palestiniens en les déclarant comme terres domaniales israéliennes.

Ces dernières années, le ministère du Logement a même créé des programmes subventionnés d’accession à la propriété pour lutter contre la crise du logement et a mis en place un système de loterie pour inciter les Israéliens à s’installer dans les colonies de Cisjordanie.

La déclaration de parcelles comme terres domaniales permet de faciliter la location ou l’achat, par les colons, des parcelles en question. Les groupes de défense des droits affirment qu’il est pratiquement impossible pour les Palestiniens de contester cette déclaration.

« Il existe une sorte de bureaucratie selon laquelle, si vous possédez la terre, vous pouvez vous y opposer dans les 45 jours [suivant la déclaration de parcelles comme terres domaniales, NDLR]. Mais c’est de facto officiel », explique Yonatan Mizrachi. « Je serais surpris que les Palestiniens […] aillent au tribunal [pour faire appel]. »

Jusqu’en 1967, la vallée du Jourdain était sous administration jordanienne. Après la guerre des Six-Jours, Israël a émis un ordre militaire mettant fin à l’enregistrement des terres dans toute la Cisjordanie, ce qui signifie que les familles palestiniennes n’ont souvent pas les documents prouvant la propriété d’un terrain. De plus, les autorités israéliennes n’accordent pas de valeur légale aux reçus d’impôt, seul autre moyen de prouver la propriété d’une terre.

Les déclarations de terres domaniales dans les territoires occupés ont été interrompues en 1992 sous l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin. Mais deux ans après la première élection de Benjamin Netanyahu en tant que chef du gouvernement, en 1996, cette pratique est revenue à l’ordre du jour. Depuis, environ 40 000 dounams (environ 4 000 hectares) ont été désignés comme terres domaniales par Israël, selon La Paix maintenant.

« Cela peut prendre des années avant que [les terres] ne soient utilisées, indique Yonatan Mizrachi. Puis, soudainement, nous pourrions voir un nouvel avant-poste, une nouvelle colonie… »

En 2023, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a constaté qu’un total de 700 000 colons israéliens vivaient illégalement en Cisjordanie occupée.

L’annexion annoncée vendredi par Bezalel Smotrich pourrait rendre encore plus difficile les déplacements des Palestiniens en Cisjordanie, déjà grandement compliqués par les restrictions actuelles à la circulation et les multiples check-points militaires israéliens.

« Je vis à Ramallah. Si je décide d’aller voir mes parents dans la vallée du Jourdain, à l’occasion d’un iftar [le repas de rupture du jeûne du ramadan, NDLR], il me faudra trois ou quatre heures pour m’y rendre, confie Hamza Zbiedat. Je n’ai pas le temps d’y aller après le travail et de faire encore quatre heures de route pour rentrer chez moi le soir. »

Une partie de la zone saisie par Israël est située à proximité de Jérusalem-Est et constitue ce que les Palestiniens espèrent devenir le cœur de leur futur État indépendant. Depuis la signature des accords d’Oslo, peu de progrès ont été réalisés en vue de la création d’un tel État. Les experts, à l’instar du Conseil de sécurité des Nations unies, affirment que l’expansion des colonies israéliennes sur les terres palestiniennes constitue un obstacle majeur à une solution à deux États.

Le mois dernier, le Haut-commissaire des Nations unies aux droits humains Volker Türk a publié un rapport selon lequel 24 300 unités de logement ont été construites entre novembre 2022 et octobre 2023 dans les colonies israéliennes existantes en Cisjordanie. Soit le nombre le plus élevé jamais enregistré depuis le recensement de l’ONU commencé en 2017.

La vallée du Jourdain, une serre naturelle
« La vallée du Jourdain, qui abrite deux des plus grands bassins d’eau potable de Cisjordanie, est très importante pour les Palestiniens, poursuit Hamza Zbiedat. Elle est censée être l’une des plus grandes régions de l’État de Palestine, avec d’immenses terres fertiles et beaucoup de ressources. » Le responsable du Ma’an Development Center rappelle que les experts la considèrent comme une « serre naturelle ».

« Au cours des derniers siècles, insiste-t-il, la majeure partie de ces terres était une zone d’élevage ouverte pour les Bédouins palestiniens ou les villageois qui possédaient des moutons, des chameaux, des vaches, des chèvres, etc. D’autres Palestiniens y cultivaient également des citrons, des oranges et d’autres types de fruits. »

Il y a quelques années, Hamza Zbiedat s’était rendu dans la zone désormais désignée comme terre de l’État israélien pour prendre des photos. Il avait alors constaté que les Israéliens avaient commencé à paver des routes et à planter des dattiers.

« Les dattes sont devenues la culture la plus célèbre de la vallée du Jourdain, relève Hamza Zbiedat. L’expansion agricole est importante dans cette région… Maintenant que les dattiers ont six ou sept ans, les colons tirent des centaines de milliers de shekels de cette terre [un shekel israélien s’échange à 0,25 centimes d’euro]. »

« Dans les champs, les travailleurs sont pour la plupart des Palestiniens. Mais les propriétaires sont les colons », souligne-t-il.

Bien qu’une grande partie de la région soit inhabitée, de nouvelles confiscations de terres signifieraient « moins de Bédouins, moins d’animaux, moins de fermes palestiniennes et une économie palestinienne indépendante en perte de vitesse, soupire-t-il. Cela voudrait dire moins de Palestiniens dans la vallée du Jourdain. »

Le rapport publié le mois dernier par le Haut-commissaire des Nations unies aux droits humains pointe « l’augmentation spectaculaire de l’intensité, de la gravité et de la régularité des violences commises par les colons israéliens et l’État à l’égard des Palestiniens en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, en particulier depuis le 7 octobre 2023 [date de l’assaut du Hamas sur le sol israélien, NDLR] ».

Depuis le début de la guerre entre Israël et le mouvement islamiste palestinien, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007, « au total, 1 222 Palestiniens issus de 19 communautés d’éleveurs ont été déplacés en conséquence directe de la violence des colons », est-il écrit dans le rapport.

La Cisjordanie a également été le théâtre de fréquentes attaques palestiniennes contre des Israéliens depuis le début de la guerre qui fait rage à Gaza.

Bezalel Smotrich, « gouverneur de facto de la Cisjordanie occupée »
« [Les colons] croient qu’ils doivent étendre et protéger des Palestiniens ce qu’ils appellent une ‘terre de l’État’ ou ‘la Terre des patriarches’, confie Yonatan Mizrachi. Ils pensent que toute nouvelle colonie apporte plus de sécurité à la région, c’est leur philosophie principale. »

« Tant que Bezalel Smotrich contrôlera l’Administration civile, il poursuivra cette politique », assure-t-il.

Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux (HaTzionout HaDatit), est lui-même un colon et le chef de l’Administration civile israélienne dans les Territoires palestiniens, chargée de la gestion des territoires en Cisjordanie.

En février 2023, le Premier ministre Benjamin Netanyahu lui a offert, après une longue bataille politique au sein de sa coalition, des pouvoirs étendus sur la planification et l’approbation des constructions en Cisjordanie occupée ainsi que sur les questions d’attribution des terres. Le Premier ministre a estimé qu’il n’était plus nécessaire que lui-même et le ministre israélien de la Défense donnent un feu vert officiel à chaque étape de la construction des colonies.

Pour le Haut-commissariat aux droits de l’Homme, cette décision a fait de Bezalel Smotrich « le gouverneur de facto de la Cisjordanie occupée ». Et ce dernier pourrait faciliter à terme l’annexion du territoire palestinien.

Selon Hamza Zbiedat, la saisie de terres la plus récente est « un message adressé aux États-Unis pour leur dire : ‘D’accord, vous ne voulez pas que nous envahissions Rafah [dans le sud de la bande de Gaza, NDLR] ? Alors ne dites rien sur ce que nous sommes en train de faire en Cisjordanie. »

Bezalel Smotrich a annoncé la saisie de 800 hectares de terres le jour même de l’arrivée du secrétaire d’État américain Antony Blinken en Israël, venu s’entretenir avec Benjamin Netanyahu des modalités d’une trêve dans la bande de Gaza.

« Vous connaissez notre point de vue sur l’expansion des colonies (…), nous avons un problème avec ça », a déclaré Antony Blinken alors qu’il était interrogé sur cette décision juste avant son retour aux États-Unis.

Le 14 mars, pour la deuxième fois depuis le début de l’année, Washington a annoncé des sanctions visant des colons israéliens en Cisjordanie, les accusant de « saper la stabilité » du territoire palestinien.

« C’est un moyen [pour Bezalel Smotrich] de faire pression sur l’administration américaine afin qu’elle se garde d’intervenir dans les affaires des colons », estime Hamza Zbiedat.

Selon lui, l’annonce du ministre ultranationaliste envoie également un message aux électeurs israéliens. « Il leur dit : ‘Regardez, nous étendons nos colonies dans la vallée du Jourdain’… qui restera, selon les colons, à jamais une partie d’Israël. Ils ne veulent pas donner aux Palestiniens le moindre contrôle sur la frontière [avec la Jordanie]. »

De son côté, le ministère palestinien des Affaires étrangères a qualifié l’annonce de Bezalel Smotrich de « poursuite de l’extermination et du déplacement du peuple [palestinien] de sa patrie ».

« Quoi qu’il en soit, il est important que les gens sachent que nous vivons également un siège ici, conclut Hamza Zbiedat, en référence à la guerre en cours à Gaza. Et c’est au bénéfice des colons. »