Belgique

À Tubize et Rebecq, la solution des zones d’immersion temporaires pour lutter contre les inondations : “Avant, l’eau montait à plus d’1m50”

Le panneau à l’entrée donne le ton : “Risques d’inondations. Zone interdite en cas de montée des eaux”. Opérationnelle depuis fin 2014, la zone d’immersion temporaire de Steenkerque existe pour retenir les eaux de la Senne en cas de fortes précipitations et éviter des inondations aux deux communes situées en aval, Tubize et Rebecq, autrefois régulièrement inondées. Si nécessaire, la zone peut retenir jusqu’à 220 000 mètres cubes d’eau, l’équivalent de près de 90 piscines olympiques. “Pour la Wallonie, c’est énorme”, précise Sébastien Gailliez. Le système est automatique : le débit de la rivière est en permanence monitoré par un capteur, et s’il dépasse 14 mètres cubes par seconde, le clapet situé dans le lit de la rivière remonte progressivement pour créer un barrage et dévier l’eau vers la ZIT, qui se remplit alors.

Reportage de terrain sur les zones d'immersion temporaire (ZIT, elles retiennent l'eau en cas d'inondations et peuvent parfois éviter des catastrophes) avec le SPW
Le panneau à l’entrée de la ZIT de Steenkerque. ©cameriere ennio

Lorsque nous y pénétrons, en revanche, les précipitations sont faibles depuis plusieurs jours et la zone est vide. L’occasion de voir qu’il ne s’agit en réalité que d’une grande réserve naturelle délimitée par un haut talus. Si l’on ne sait pas où l’on se trouve, on pourrait croire qu’il s’agit d’une simple friche. Mais l’endroit est trop bien entretenu. La digue qui le surplombe est en réalité constituée de solides palplanches enfoncées jusqu’à 10 mètres dans le sol, capables de supporter le poids de milliers de mètres cubes d’eau.

Les photos impressionnantes des inondations en Flandre

Un système pour arrêter l’écoulement de la rivière

À mesure qu’on avance dans la zone, Sébastien Gailliez nous expose ses complexités techniques : “On ne crée pas une ZIT comme on veut. Ça demande de fameuses études hydrologiques et hydrauliques. On doit ensuite prévoir un budget, un cahier de charges des travaux, et des éventuelles expropriations ou négociations pour avoir accès aux terrains nécessaires”. Dans le cas de la ZIT de Steenkerque, le SPW n’est pas propriétaire du terrain, mais peut l’utiliser. Le propriétaire a marqué son accord devant notaire et est indemnisé pour l’utilisation qui en est faite.

guillement

Laurent Rocrelle et Sébastien Gailliez nous font d’ailleurs une démonstration de l’utilisation de la zone. Quand le moteur s’enclenche, le bruit impressionne. Le “clapet”, une large et lourde planche métallique, la plupart du temps invisible car tapi dans le fond de l’eau, se relève lentement et arrête l’écoulement de la rivière. “S’il y a une coupure de courant, les batteries prennent le relais, explique Sébastien Gailliez. Et si les batteries lâchent, on peut venir avec un groupe électrogène de secours.” Tout semble prévu pour contrôler la rivière.

Reportage de terrain sur les zones d'immersion temporaire (ZIT, elles retiennent l'eau en cas d'inondations et peuvent parfois éviter des catastrophes) avec le SPW
Le clapet de la ZIT de Steenkerque, lorsqu’il est relevé pour arrêter l’écoulement de la rivière et dévier l’eau vers la ZIT. ©cameriere ennio

Des incidents, pourtant, arrivent parfois et marquent certains habitants de l’aval. “Il est arrivé qu’un des moteurs du système brûle, se souvient Patrick Installé, habitant de Tubize et président de l’association SOS Inondations Tubize, qui surveille les crues dans le village depuis plusieurs décennies. La vanne s’est retrouvée bloquée. Une panne, ça peut arriver. Mais le problème est qu’on n’avait pas été prévenus que l’eau n’était plus retenue.”

La Dyle n’a pas fait de morts à Wavre en juillet 2021 mais les séquelles des inondations restent présentes: “Quand il pleut, on ne dort plus”

Le risque résiduel

Selon Patrick Installé, l’existence de la ZIT est une bonne chose, mais comporte encore certaines lacunes que la Wallonie pourrait résoudre. “La ZIT est efficace pour les petites crues. Mais je crains un faux sentiment de sécurité. Le SPW dispose de données qu’il ne fournit pas spontanément aux citoyens. On n’a aucune information sur la gestion de la ZIT : quand elle est utilisée, quand elle déborde… On pourrait prendre des mesures en aval, si on nous communiquait ces informations en temps réel.”

Le Tubizien ajoute que le système est insuffisant pour les plus fortes crues. Un discours que partage Sébastien Gailliez : “Il y aura toujours un risque résiduel. On ne pourra pas garantir une protection contre les pires catastrophes, même en remplissant la ZIT au maximum. Les habitants des vallées doivent apprendre à vivre avec la culture du risque.”

Reportage de terrain sur les zones d'immersion temporaire (ZIT, elles retiennent l'eau en cas d'inondations et peuvent parfois éviter des catastrophes) avec le SPW
La ZIT de Steenkerque, vide, bordée d’un haut talus qui sert à retenir l’eau. ©cameriere ennio

Un constat d’autant plus vrai que le dérèglement climatique augmentera à l’avenir le risque de voir revenir plus rapidement des épisodes de précipitations de plus en plus abondantes. “Aujourd’hui, on prend en compte le changement climatique dans nos études. C’est relativement récent. Depuis quelques années, on voit vraiment une modification dans les précipitations. Il y a une conscientisation par l’observation.”

Vivre et travailler “les pieds au sec”

Depuis la mise en service de la ZIT, il y a dix ans, les habitants de l’aval voient malgré tout une amélioration de leur sort. Dans une taverne du centre de Rebecq, on se souvient d’inondations où “l’eau montait à plus d’1 mètre 50” et où “les pompiers venaient évacuer les habitants en bateau”. Depuis l’existence de la ZIT, ce n’est plus arrivé. “On était vraiment en demande d’une telle infrastructure pour protéger notre territoire, note Patricia Venturelli, bourgmestre de Rebecq. Depuis, on en voit très clairement les effets positifs. Encore début janvier, ça a permis d’éviter des débordements importants. On a vu quelques caves inondées tout au plus, et de l’eau dans des zones rurales non habitées. Mais c’est tout.”

Reportage de terrain sur les zones d'immersion temporaire (ZIT, elles retiennent l'eau en cas d'inondations et peuvent parfois éviter des catastrophes) avec le SPW
La Senne, en dehors d’une période de crue. ©cameriere ennio

Mais Patrick Installé tient à nuancer : “Dix ans, ce n’est pas assez long pour se rendre compte de l’utilité de la ZIT face à des crues comme on a connu en 2010”. Et Sébastien Gailliez de confirmer qu’en cas d’inondations majeures comme celles-là, “la ZIT ne serait pas suffisante pour protéger la majorité des maisons”. En attendant, les habitants profitent tout de même de pouvoir vivre et travailler “les pieds au sec”.

Le débat sur le rôle de la Protection civile relancé : “En cas d’inondations importantes, on se rend compte que les moyens sont largement dépassés”