Inflation, chômage et récession: dissonances et incohérences des indicateurs économiques en Tunisie ? – Actualités Tunisie Focus

Durant les dernières semaines l’Institut national de la Statistique de Tunisie nous a annoncé une hausse du chômage et une forte récession pour deux trimestres de suite? Une semaine plus tard, la BCT affiche une très forte hausse de la masse monétaire en circulation (M2).

Hier, l’Institut National des Statistiques (INS)  revient à la charge et nous annonce que le taux d’inflation a fait aussi un infinitésimal repli, passant 7,8% à 7,5%. Une baisse proportionnellement bien plus faible que ce qu’on a observé pour les deux premiers indicateurs et ce qu’on a observé dans les pays voisins, comparables.

Et cela désarçonne les plus férus en économie et théories monétaires.

L’INS a annoncé un maigre repli de l’inflation, un repli négligeable. Et cela me parait plutôt incohérent, si je me fie aux enseignements de la Théorie économique.

Trois raisons principales soutiennent mes réserves.

1- la forte chute du taux de croissance ressentir durant les deux derniers trimestres devrait impacter plus fortement la baisse du taux d’inflation. Surtout qu’on est en basse saison de consommation. Le tourisme est en hibernation, les productions agricoles (huile, date, organes, légumes, etc.) plutôt bonnes et bien d’autres facteurs m’amènent à dire que l’indicateur de mesure de l’inflation par l’indice des prix à la consommation ne capte pas correctement les variations des prix de ses principales composantes. Surtout que cet indice ne considère pas 45% des secteurs économiques, ceux opérant dans le secteur informel et plutôt non marchant, selon les concepts de l’INS. L’indice ne tient pas compte des effets de substituons (produit moins chers prennent la place de produits plus chers). Et il ignore les augmentations différenciées selon les régions géographiques et économiques.

2- Chez les pays partenaires, le taux d’inflation est en chute libre, descendant en dessous de 3% en Europe. La balance commerciale a enregistré une amélioration en valeur, justement en raison de ces baisses de prix observés sur les marchés internationaux des principaux produits alimentaires qu’importent régulièrement la Tunisie. C’est une autre raison qui me porte à me demander pourquoi le taux d’inflation en Tunisie se maintient à un niveau très élevé, malgré tout!

3- des données récentes publiées il y a dix jours, nous indiquaient que la masse monétaire (M2)a connu un boom de plus presque 20%, en glissement annuel. On le devine, les avances de fonds consentis par la Banque centrale au gouvernement explique cette hausse. Mais, ici aussi, on finit par se demander si ces variations de la masse monétaire sont captées par l’indice des prix à la consommation. Les tendances sont contradictoires dans leur intensité, et dissonants dans leurs interdépendances.

C’est certain que les deux premières raisons sont plutôt en opposition avec la troisième raison. Il y auraient des compensations et des élasticités croisées. Mais, pourquoi l’INS ne les explicitent pas et ne les interprètent pas de manière explicite, de façon à aider la prise de décision au sein de l’Etat, et pour mieux anticiper les marchés pour les investisseurs et les consommateurs. Ramadan est à nos portes, et les Tunisiens appréhendent les pénuries et les explosions des prix, des produits de bases.

Mais, le plus important doute porte sur la fiabilité du thermomètre mesurant l’inflation en Tunisie. Face à ces forces contraires, on se perd, et l’INS ne fait rien, pour démêler les citoyens, et les aider à comprendre les causalités et le vrai du faux.

En Tunisie, et depuis quelques années, on est porté à croire que le thermomètre de l’inflation enregistre plus facilement la hausse des prix, que les baisses de ces mêmes prix. Ce thermomètre monte vite et descend très faiblement, pour remonter juste après. La déflation serait moins intéressante à mesurer que l’inflation.

Plusieurs économistes ont reproché à l’INS ses méthodes de calcul, fortement dépendantes d’un indice de prix à la consommation imparfait et qui a tendance à surestimer le taux d’inflation au grand plaisir des banques, des syndicats de travailleurs (salaires indexés à l’inflation) et des mêmes de l’Etat dont les recettes fiscales dépendent des niveaux de prix (taxe ad valorem). Les postes budgétaires sont aussi indexés à l’inflation, plus l’inflation est exagérée, plus les budgets alloués aux ministères sont en hausse aussi.

Le tout coïncide avec Un taux d’intérêt directeur qui trône à 8 % depuis au moins 2 ans. Et cela dit-on pour réduire l’inflation et la ramener à 2%, contre plus que 10%, il quelques mois.

Le taux d’intérêt directeur réel est devenu de facto positif, dépassant le taux d’inflation. C’est une des conditions et recommandations du FMI. Cela fait à une macroéconomiste respectée que « la Tunisie est redevenue bon élève faisant plutôt le contraire de ce que le discours officiel dénonce.

Combien de temps, faut-il croire à ces discours plutôt politisés et combien de temps faut-il attendre pour que la Tunisie dispose d’une inflation sous contrôle, bien mesurée, avec des indicateurs fiables et dignes de confiance.

Le temps est venu pour examiner sérieusement cet enjeu. Un enjeu qui contribue sans conteste dans le maintien des confusions…et de la morosité économique qui s’éternise en Tunisie.

Moktar Lamari, Economics for Tunisia, E4T