Tunisie

Fitch Ratings multiplie ses « alertes » au sujet des banques tunisiennes : pourquoi? – Actualités Tunisie Focus

C’est le deuxième rapport de Fitch Ratings au sujet du système bancaire tunisien, en dix jours. Fitch Ratings multiplie ses alertes en traitant des risques et vulnérabilités des banques dans ce processus de détournement de l’épargne et dépôts des privés vers le gouvernement plutôt que vers les entreprises et les besoins de l’investissement.

La semaine dernière, Fitch Ratings reprochait au système bancaire tunisien un laisser-aller dans la gestion des risques et une certain retard quant aux normes et modalités de gouvernance et de reddition de compte.

Cette semaine, Fitch met l’accent sur la (in)capacité du système bancaire à financer la dette publique et les déficits budgétaires, par des prêts au gouvernement. On le savait c’est plus rentable de prêter au gouvernement avec des taux d’intérêt élevés, frôlant les 10-12%. Un taux d’intérêt qui de facto se trouve à être presque le double du taux d’intérêt affiché aujourd’hui pour les prêts du FMI. Les banques tunisiennes trouvent leur compte, mais pas les contribuables, et encore moins les entreprises qui souhaitent investir et prospérer.

Résumons ci dessous les principaux points soulevés dans le dernier communiqué de Fitch Ratings (7 mars) au sujet du système bancaire tunisien et son addiction aux prêts sans risques au gouvernement.

1- Fitch avance que le secteur bancaire tunisien peut continuer à répondre aux besoins croissants de financement de l’Etat en 2024, en raison d’une croissance saine des dépôts et une faible demande de crédit soutiennent la liquidité du secteur, selon Fitch Ratings.

2- Mais ici, Fitch Ratings se trompe quand elle prétend que la demande de crédit est faible. Il fallait dire que les taux d’intérêts sont tellement élevés et les exigences bancaires sont tellement nombreuses (complexes) que les chances d’obtenir un crédit deviennent quasiment nulles. C’est pourquoi, les entreprises s’abstiennent et ne viennent pas demander des crédits.

3- Fitch Ratings ajoute qu’en l’absence d’un accord avec le FMI et compte tenu de la rareté d’autres sources de financement externe, la Tunisie a de plus en plus compté sur le secteur financier national, et les banques en particulier, pour financer son budget. Le budget 2024 prévoit une augmentation de 20 % des besoins bruts en financement par rapport à l’année dernière, pour atteindre 28,7 milliards de TND (9,3 milliards de dollars).

4- De ce montant, jusqu’à 40 % (environ 12,3 milliards de TND) seraient atteints par des sources de financement nationales, et le solde par un financement externe. Le gouvernement doit mobiliser presque 25 milliards de dinar auprès de bailleurs internationaux. Et cela semble quasi-impossible sans un financement et un feu vert du FMI.

5-Fitch s’attend à ce que le financement budgétaire soit égal ou inférieur à 16 % du PIB par an en 2024-2025, l’un des pourcentages les plus élevés parmi les souverains notés « CCC+ » ou moins. Et ici, Fitch Ratings laisse entendre que sans allègement de la taille de l’Etat, et sa masse salariale, l’impasse budgétaire est quasi-inévitable.

6- En février, le gouvernement a emprunté 1 milliard de TND sur le marché intérieur, dépassant son objectif de 750 millions de TND pour la première tranche de son programme national d’abonnements de 2024. Cela s’ajoute aux 7 milliards de TND (2,2 milliards de dollars américains) que le Trésor a empruntés à la Banque centrale de Tunisie (CBT), avant un remboursement d’Eurobond de 850 millions d’euros effectué le 17 février.

7- Fitch Ratings insinue que les besoins budgétaires et les urgences des dépenses incompressibles ont poussé le gouvernement à dépasser la limite qu’il s’est lui même imposée pour les financements à se procurer auprès de la Banque centrale.

8- Fitch ajoute que le gouvernement pourrait ne pas être en mesure de lever plus de 2,5 milliards de dollars américains à partir de sources de financement externes en 2024, ce qui laisserait un « trou » d’au moins 2,5 milliards de dollars par rapport à son financement externe prévu. Et cela n’est pas anodin, puisque advenant cette impossibilité, la Tunisie fera défaut.

Et c’est pourquoi le gouvernement multiplie les contacts et les sollicitations pour débloquer la situation, soit par une entente de dernière minute avec le FMI, soit par un rééchelonnement de la dette.

9- Fitch pense qu’aucun accord n’est envisageable Avec le FMI avant l’élection présidentielle de cette année, octobre 2024. L’Agence de notation pense donc que près de 70 % des besoins bruts de financement de 2024, soit 12 % du PIB, devant être satisfaits par des sources nationales, y compris les banques et la TC.

10- La capacité du secteur bancaire à financer les besoins de financement intérieur du souverain en 2024 est soutenue par une croissance saine des dépôts (plus de 6 %) et une faible demande de crédit. La dépendance des banques à l’égard du refinancement de la Banque centrale était inférieure à 9 milliards de TND (environ 7 % du financement total du secteur) à la fin de 2023, ce qui suggère des conditions de liquidité adéquates.

11- Néanmoins, une forte dépendance soutenue à l’égard des banques et de la BCT pour répondre aux besoins de financement pourrait poser des risques macroéconomiques et resserrer les conditions de liquidité des banques de façon à augmenter leurs risques de solvabilité en cas de défaut souverain.

12- L’Agence pense que le financement directe et indirecte des banques tunisiennes à l’Etat (à l’exclusion des dépôts auprès de la BCT) a légèrement diminué à la fin de 2023 pour atteindre 30 milliards de TND, ce qui représente 21 % des actifs du secteur.

L’exposition des banques au risque en devises étrangères a chuté d’environ 40 % en 2022 pour atteindre 2,5 milliards de TND sur la suite des remboursements souverains de prêts syndiqués, et a encore diminué en 2023.

13- La note de Fitch ajoute que les ratios de solvabilité des banques seraient résilients à un défaut souverain sur ses passifs en devises. Une décompétion complète des expositions souveraines en devises aurait un impact gérable sur le ratio d’adéquation des fonds propres (ARC) du secteur de 14,6 % à la fin du 2023.

14- Lorsque l’on met l’accent sur l’ensemble du secteur bancaire sur une hypothétique décote de 30 % sur l’exposition souveraine (y compris l’exposition aux devises locales), le secteur tombe à 8 %, en dessous de l’exigence minimale de 10 %. Et cela constitue un risque qui ne doit pas être négligé.

15- Les réserves en devises se sont rétablies à 9,1 milliards de dollars à la fin de 2023 contre7,8 milliards de dollars américains à la fin de 2022, en raison de fortes recettes touristiques, de l’augmentation des flux de transferts de fonds par les expatriés et de l’augmentation des exportations d’huile d’olive.

16- Cela soutient la capacité du gouvernement à respecter les échéances de la dette extérieure à venir, y compris une euro-obligation d’un milliard de dollars à échéance en janvier 2025, bien que la réduction des réserves pour aider à atteindre les échéances extérieures verra les réserves se détériorer de manière significative en 2024-2025. C’est une excellente nouvelle pour les Tunisiens et le gouvernement dans son ensemble.

17- En décembre 2023, Fitch a affirmé la notation souveraine « CCC » de la Tunisie, reflétant l’incertitude persistante quant à la capacité du gouvernement à répondre à ses grands besoins de financement budgétaire et à augmenter les échéances de la dette.