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Le goût des Suisses pour le poisson coûte cher à l’environnement – SWI swissinfo.ch

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Helen James / SWI swissinfo.ch

Alors que la Suisse importe presque l’entier de sa consommation de poisson, seule une petite moitié de celle-ci peut être qualifiée de durable. Quelques précautions permettent de réduire son impact.

À la veille des fêtes de Noël, Greenpeace Suisse a accusé les deux plus grandes chaînes de supermarchés du pays – Coop et Migros – d’encourager la consommation de poissons élevés de façon non durable en pratiquant d’importants rabais sur le saumon. Des recherches menées sur une période de trois mois ont démontré que les deux détaillants ont vendu du saumon d’élevage de l’Atlantique Nord à des prix réduits entre 41 et 50%. Toujours selon l’ONG suisse, ils réalisent grâce aux promotions plus de 45% de leur chiffre d’affaires sur les produits à base de poisson – soit la part la plus élevée dans le secteur.

«L’aquaculture industrielle ne fait qu’aggraver les problèmes dans les océans. En termes de développement durable, la seule action cohérente est donc de proposer moins de poisson», indique dans un communiqué l’organisation.

Des importations douteuses

L’Office fédéral de l’agriculture estime que les Suisses mangent chaque année en moyenne neuf kilos de poisson et de fruits de mer. Une consommation qui dépend à 96% des importations, selon une récente étudeLien externe de l’Université de Berne. Des entretiens et des sondages réalisés auprès de producteurs, représentants du commerce, détaillants, restaurateurs, labels et ONG associées révèlent aussi des failles dans les promesses de durabilité ainsi qu’un manque de transparence.

«Même en analysant le marché suisse du poisson selon des critères limités de durabilité, seuls 40% environ des produits consommés peuvent être considérés comme durables. Ce taux est encore plus bas dans le secteur de la restauration et des services alimentaires, où la durabilité n’est pas une priorité», souligne l’équipe de recherche.

La Norvège – grand producteur de saumon d’élevage – reste la première source des importations de produits de la mer en Suisse.


Contenu externe

L’aquaculture du saumon est le système de production alimentaire connaissant le plus fort taux de croissance, selon le WWF. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de l’ONU estime que la production annuelle de saumon atlantique d’élevage pèse 2,72 millions de tonnes. Il y a quarante ans, elle ne se chiffrait qu’à 20’000 tonnes.

«Ces fermes piscicoles ne sont rien d’autre que de l’élevage intensif en mer. Elles nuisent gravement à l’environnement et aux animaux», souligne dans un communiqué de Greenpeace l’experte Barbara Wegmann.

Parmi les conséquences négatives de cet élevage: la pollution qu’engendrent les déchets de poisson et les pesticides, mais aussi les croisements entre les saumons qui s’échappent des cages et ceux sauvages.

«Les saumons élevés en aquaculture sont souvent traités avec des antibiotiques et ont une résistance à ces derniers», explique Vanessa Jaiteh, chercheuse en durabilité des produits de la mer à l’Université de Berne. Ce constat vaut aussi pour la plupart des élevages en Asie du Sud-Est, ce qui devrait inquiéter les amateurs de produits de la mer. Car le Vietnam est la deuxième source de ces importations en Suisse.

Une étudeLien externe portant sur 360 élevages de poissons et 360 élevages de crevettes dans le nord, le centre et le sud du Vietnam a révélé que des antibiotiques avaient été largement utilisés en 2021 dans 64% des élevages de poissons et 24% de ceux de crevettes.

«Les gens s’inquiètent des microplastiques, mais pas de leur saumon de Noël bourré d’antibiotiques», constate Vanessa Jaiteh.

Ce que l’on sait encore moins, c’est que l’industrie du saumon d’élevage affecte aussi des personnes vivant à l’autre bout du monde.

«La Norvège nourrit ses saumons avec de petits poissons pélagiques qui viennent de pays comme la Mauritanie et le Sénégal, privant ainsi les populations locales d’une source de protéines bon marché», ajoute l’experte.

Les entreprises productrices de farine et d’huile de poisson nuisent, elles aussi, à l’environnement en raison de leurs déchets. Malgré cela, les autorités sur place leur offrent de bonnes conditions et ferment les yeux.

Des choix de consommation

«Les consommateurs s’intéressent d’abord au prix du poisson, puis à sa provenance et enfin, éventuellement, aux étiquettes», affirme Vanessa Jaiteh.

Et celles et ceux qui espèrent faire un choix durable en optant pour du poisson local sont également induits en erreur.

«Le saumon élevé en Suisse provient d’œufs importés d’Islande. Et beaucoup d’énergie grise est utilisée pour créer l’environnement nécessaire à sa croissance», ajoute la chercheuse.

Les étiquettes peuvent aussi être trompeuses. Par exemple, une boîte de thon peut indiquer que les poissons ont été pêchés à l’aide d’une «canne et d’une ligne», ce qui signifie qu’un pêcheur les a extrait de l’eau un par un. Mais de petits caractères révèlent qu’ils ont été capturés à l’aide de «palangres» – soit une ligne de pêche pouvant atteindre des dizaines de kilomètres de long et à laquelle sont attachés des milliers d’hameçons.

«Oui, la Suisse exige que la méthode de pêche soit déclarée, mais les catégories sont trop vastes et les termes utilisés trop ambigus», explique Vanessa Jaiteh.

Enfin, les labels de durabilité tels que le Marine Stewardship Council (MSC) et l’Aquaculture Stewardship Council (ASC) sont problématiques. Par exemple, le MSC autoriseLien externe la pêche avec des chalutiers géants qui utilisent des filets pouvant contenir jusqu’à 13 jumbo jets. Ceux-ci endommagent les fonds marins et sont responsables d’un grand nombre de prises accessoires. L’année dernière, l’ASC a été critiquéLien externee par plus de 40 ONG pour ne pas avoir pris en compte la durabilité du premier tiers du cycle de vie des saumons «élevés de manière responsable».

«Les informations ne sont pas difficiles à obtenir. Le problème, c’est que beaucoup de gens ont un intérêt à ne pas les révéler», estime la chercheuse.

Selon elle, les consommateurs et consommatrices doivent faire leurs propres recherches. Étant donné que la plupart des gens ne mangent que quelques espèces de poisson, comme le saumon ou le thon, il est préférable de se concentrer sur elles. La chercheuse propose quelques conseils pour éviter de soutenir les pires pratiques.

  • Ne consommez pas de requins ou de raies. Leur pêche est rarement durable et leur teneur en mercure généralement élevée.
  • L’espadon présente des risques; certaines populations sont menacées, d’autres se rétablissent après des décennies de surpêche. En général, l’espadon pêché à la ligne ou au harpon dans les eaux canadiennes ou américaines est acceptable. Pour les autres régions et les autres techniques de pêche, consultez le guide des produits de la merLien externe du WWF.
  • Si vous achetez du saumon, choisissez un poisson sauvage pêché dans l’océan Pacifique et non dans l’Atlantique, où il fait l’objet d’une surpêche. Vous pouvez également acheter du saumon d’élevage certifié biologique. Mieux encore, choisissez une alternative durable au saumon, comme la truite arc-en-ciel élevée en Suisse dans de l’eau de source.
  • Si vous achetez des produits issus de l’aquaculture, préférez le bio à un label comme ASC.
  • Si vous voulez un sandwich au thon, choisissez du poisson du Pacifique occidental ou central, pêché à la canne.

La modération est un autre moyen de réduire son impact sur les stocks mondiaux de poissons.

«En Suisse, nous pouvons manger autre chose. Les communautés côtières devraient pouvoir avoir du poisson dans leur assiette», estime Vanessa Jaiteh.

Mais étant donné que la viande coûte 2,3 fois plus cherLien externe en Suisse que dans l’Union européenne (contre 1,82 fois pour le poisson) et que les détaillants ont tendance à accorder des rabais sur les filets de saumon, la tentation restera grande pour les Suisses.

Traduit de l’anglais par Dorian Burkhalter

Cet article fait partie de notre couverture dédiée à l’évolution de l’industrie alimentaire vue sous l’angle des consommateurs et consommatrices. Malgré sa petite taille, la Suisse occupe une place importante dans le panier alimentaire mondial. Elle abrite des géants de l’alimentation et de l’agriculture tels que Nestlé et Syngenta, ainsi que des acteurs majeurs du chocolat et des produits laitiers. Le pays se positionne également comme une plaque tournante de la technologie alimentaire avec de nombreuses startups et un incubateur dédié connu comme «Swiss Food and Nutrition Valley». La nation alpine est également la plaque tournante européenne pour de nombreuses entreprises de matières premières actives dans les produits alimentaires tels que le soja, le cacao, le café et l’huile de palme.