Procès Pogba : À ses crochets ou à son service, les amis de Pogba lui voulaient-ils tous du bien ?
Au Tribunal Correctionnel de Paris,
La troisième journée du procès de l’affaire Pogba a pris des airs de marathon, ou d’ultra-trail équipé de chaussures de plomb, jeudi, dans la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, du fait du retard accumulé mardi et mercredi. Mais ces quelques 10 heures 45 minutes d’auditions, entrecoupées de deux mini-pauses bienfaitrices, auront été immensément instructives, et ce à plusieurs égards.
D’une part pour nous permettre de mieux comprendre le rôle de chacun dans ce fameux appartement de Montévrain, où Paul Pogba s’est fait braquer par deux hommes cagoulés dans la nuit du 19 au 20 mars 2022, d’autre part pour mieux cerner ce qui se joue régulièrement dans les coulisses de la vie d’une star du foot, dont la fortune aiguise les appétits des amis restés bloqués dans la vraie vie.
Adama C., l’homme-crochet
Premier à passer à la barre, Adama C. ressemble fort, de par le récit qu’il a livré aux magistrats pendant près de six heures, à une caricature de l’ami d’enfance vivant aux crochets de la machine à sous sur pattes. Sans emploi depuis 2016, celui-ci percevait régulièrement de l’argent de Paul Pogba, entre « 5.000 et 15.000 euros », à raison de « trois ou quatre virements dans l’année ». Mais quand la présidente lui demande de quoi vivait-il à part ça, Adama C. s’emmêle les neurones. « Des virements de Paul, dit-il. Il ne subvenait pas à mes besoins mais il était là en cas de besoin. » Plaît-il ? Elle relance.
– Mais de quoi viviez-vous ?
-………
– Je vais formuler autrement : de quoi auriez-vous vécu sans l’argent de M. Pogba ?
– Ben j’aurais travaillé.
CQFD.
L’analyse des SMS échangés au fil des ans avec Pogba dépeint un garçon qui, bien qu’il ne l’admettra jamais à la barre, semble prendre ces dons pour un dû. Pourquoi ? Difficile à dire puisque de son propre aveu il n’effectuait aucune tâche pour le joueur, si ce n’est celui (très vague) de pseudo intermédiaire entre Pogba et les gens qui souhaitaient lui « présenter des projets business ». Ce qui ne l’empêche pas de se montrer exigeant quand la maille tarde à tomber, en témoigne ce message envoyé au Mancunien un jour de paye : « J’ai reçu l’argent ce matin….. Après de longues semaines d’attente ». Au passage, lui aussi fera partie de la joyeuse bande lors de la razzia chez Adidas sur les Champs-Elysées.
Mamadou C., le Majordome à tout faire
Le second à passer à la moulinette se prénomme Mamadou M. Probablement l’ami le plus proche de Pogba depuis leur enfance à la Renardière. Partageant sa vie à Turin puis à Manchester, « Mam’s », comme le surnomment ses potes, sera une sorte d’homme à tout faire. « J’étais son majordome, je faisais les courses, le chauffeur, je m’occupais de tous ses besoins du quotidien pour qu’il n’ait qu’à se concentrer sur le terrain », détaille-t-il. Un boulot « 24/24 » pour lequel il touche 1.500 euros mensuels.
« Aviez-vous un contrat de travail ? », lui demande la présidente. « C’était ce qui était prévu mais finalement Paul m’a dit qu’avec les charges qu’il allait devoir payer, c’était compliqué », répond-il, admettant cependant que cela lui allait « très bien ». On apprendra également qu’il était chargé de livrer les (grosses) valises de cash que Pogba donnait régulièrement à son marabout, lequel se chargeait ensuite de répartir l’argent à différentes bonnes oeuvres. Une pratique courante chez les musulmans et qui porte le nom de sadaka.
Fait rare dans cette affaire, Mamadou M. ne percevait pas quant à lui de généreux dons en cash comme c’était le cas pour les autres. Ce qui a été confirmé par l’analyse de ses comptes bancaires. Marié à la sœur de Riyad Mahrez début 2020, date à laquelle il quittera définitivement Pogba pour revenir s’installer en France avec sa femme, Mamadou M. expliquera à la cour ne pas être particulièrement dans le besoin. Et si son amitié avec La Pioche se fissurera au même moment, Paul soupçonnant son « frérot » d’avoir eu la carte bleue facile, ce que Mamadou M. conteste formellement, l’argent ne semble pas avoir été le ciment de la relation entre les deux hommes.
Les incohérences de la soirée qui dérape
Ce qui nous amène à la soirée du 19 mars, avec d’un côté ceux qui sont restés dans l’appartement au moment où les braqueurs ont déboulé, et ceux qui ont été priés de quitter les lieux, sur ordre de Roushdane K., sans que l’on en comprenne vraiment la raison. Il se trouve que les situations diamétralement opposées des deux amis de Pogba apportent une lumière nouvelle sur ce point crucial de l’affaire.
Alors que Paul Pogba avait décidé depuis quelques mois de calmer le jeu sur les dons et de prendre ses distances avec les amis du quartier, on comprend vite qu’entre Adama C. et Mamadou M., l’un avait financièrement beaucoup plus à perdre que l’autre. Hasard ou coïncidence, c’est justement Adama C., que la police soupçonne d’être un personnage central de la séquestration, qui aura le droit de rester dans l’appartement. Mamadou M. sera, lui, prié de sortir.
Ce qui est certain, c’est qu’au moment ou Mamadou M. reviendra sonner à la porte – en plein braquage, donc – pour savoir s’il était autorisé à revenir dans le logement, après une vingtaine de minutes passées à attendre dehors avec deux autres amis, c’est Adama C. qui vient lui (entre) ouvrir la porte. D’où les questions de la partie civile : 1. pourquoi les braqueurs vous ont-ils laissé aller ouvrir, si vous aussi vous étiez leur victime ? 2. Pourquoi n’avez-vous pas profité de cette opportunité pour alerter votre ami au lieu de lui dire de revenir plus tard et de retourner avec les ravisseurs dans le salon ?
L’audition de Roushdane K très attendue
A la barre, Adama baisse la tête et se met à pleurer. « Quand on me parle de ce moment, j’ai des flash-back, ça m’a traumatisé », lâchera-t-il en guise de réponse, tandis que son avocat lui tend un mouchoir en papier. Qu’il soit spontané ou savamment préparé, cet instant émotion ne risque pas de calmer la soif de vérité du tribunal, qui croit de moins en moins à la théorie d’une bande de mystérieux braqueurs ayant pris les six amis par surprise. D’autant que lors de son audition devant les policiers, Paul Pogba a dit avoir noté une certaine complicité entre Roushdane K. et les agresseurs, ceux-ci se murmurant des choses à l’oreille.
Si tout cela ne reste encore qu’au stade de l’hypothèse, l’étau se resserre sur tout ou partie des six accusés. L’audition de Roushdane K., déjà condamné à dix ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre en 2006, et dont on ne saisit pas bien les raisons de sa présence lors de cette « réunion entre amis », lui qui n’a jamais été proche de Paul Pogba, devrait se révéler cruciale pour tirer cette affaire au clair. Elle est justement programmée ce vendredi.