Belgique

“Septante mille étudiants en danger avec le décret Paysage ? Des chiffres farfelus qui ne sont basés sur rien”, défend Françoise Bertieaux

PS et Écolo doivent le savoir : le MR, partenaire de coalition, n’entend pas modifier une réforme qu’il a portée et que la ministre Valérie Glatigny a fait aboutir en 2021. François Bertieaux, qui a pris le relais, ne laisse aucune place au doute. “La réforme du Décret Paysage est une bonne réforme, tranche d’emblée la ministre de l’Enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle commence à produire les premiers effets positifs. En témoignent les taux de réussite à la session de janvier.” La ministre fait là référence aux chiffres publiés par le Conseil des recteurs francophones qui indiquent que le taux global de réussite des unités d’enseignement durant la session de janvier est supérieur de 5 % à celui enregistré lors de la session de janvier 2020 – la dernière année avant la réforme du décret Paysage et avant le Covid. Il n’existe pas de taux global de réussite pour l’enseignement supérieur non universitaire. “Mais des coups de sonde montrent que la tendance est positive, ponctue Françoise Bertieaux. Ce n’est donc pas le moment de tout changer. Nous aurons des chiffres consolidés à la fin septembre-début octobre. On pourra faire une première appréciation. Et il y aura de toute façon une évaluation en 2026. C’est prévu par le décret lui-même. Donc, on se calme.

Panique sur les campus : des milliers d’étudiants risquent d’être éjectés de leur cursus à la rentrée académique de septembre 2024

Année de basculement

Une inquiétude particulière porte sur l’année académique 2024-2025 puisque la réforme s’appliquera également aux étudiants qui étaient déjà inscrits dans le système avant sa mise en œuvre et qui étaient donc toujours soumis à l’ancien régime. Des milliers d’étudiants passeront d’un système à l’autre. Et ceux qui n’auraient pas satisfait aux nouvelles règles de réussite – réussite aux examens de la première année de bachelier en 2 ans, à ceux des 3 années de bachelier en 5 ans et à ceux des deux années de master en 4 ans – risquent de ne plus être finançables du jour au lendemain. Mais combien sont-ils dans ce cas ? La ministre ignore le chiffre exact. “La Fef a avancé que 70 000 à 75 000 étudiants seraient ‘éjectés’. C’est un chiffre complètement farfelu, dingue, démesuré, basé sur je ne sais pas quoi. Aller balancer ce chiffre farfelu sur tous les campus au moment où les étudiants commencent leur blocus, c’est leur coller la boule au ventre. Je trouve cela irresponsable.”

Le cabinet de la ministre Bertieaux a essayé de mesurer le risque réel de ‘non-finançabilité’ des étudiants au terme de l’année académique en cours. Ses estimations s’appuient, d’abord, sur un chiffre structurel, qui s’observe depuis le décret Bologne adopté il y a 20 ans : chaque année, observe le cabinet Bertieaux, le nombre d’étudiants qui perdent leur “finançabilité” tourne entre 10 et 15 %. “Ce pourcentage a été observé avant le décret Paysage (aussi appelé décret Marcourt, NdlR), pendant le décret Paysage et après, avance la ministre libérale. Dans ce pourcentage, il y a une majorité d’abandons. Et ce ne sont pas toujours des trajectoires tristes. Un étudiant peut abandonner ses études parce qu’il lance un projet professionnel dans lequel il s’épanouit davantage.”

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Des chiffres dans le flou

La réforme du décret Paysage pourrait-elle alourdir ce pourcentage ? “C’est, pour l’heure, scientifiquement impossible à dire puisque les étudiants doivent encore passer deux sessions d’examens, énonce Françoise Bertieaux. Trois établissements – c’est très peu – ont fait l’exercice. L’ULB parle de 330 étudiants qui ne seraient plus finançables à cause de la réforme. La rectrice de l’Université de Liège a parlé d’un nombre restreint d’étudiants. La Haute école Vinci a envoyé un courrier à 230 étudiants pour leur dire qu’ils ne seront plus finançables. Comment ont-ils pu projeter, à partir des résultats partiels de janvier, des taux de réussite en juin et en septembre ? Je ne sais pas. Il s’avère d’ailleurs déjà que Vinci s’est trompé pour certains de ses étudiants. Mais même si je prends en compte ces quelques rares chiffres qui ont été donnés sans les remettre en cause, le pourcentage d’étudiants qui deviendraient non finançables ne dépasserait pas de 0,5 à 0,9 % le pourcentage structurel d’étudiants non finançables qui s’observe depuis 20 ans.”

Or ce surplus de 0,5 à 0,9 % – “Je veux même bien considérer que le surplus sera de 1 %” – est inférieur au pourcentage d’étudiants non finançables que les établissements acceptent d’inscrire chaque année malgré le fait qu’ils ne leur apportent aucun subventionnement. “Les établissements de l’enseignement supérieur inscrivent structurellement de 2,5 à 3,5 % d’étudiants non finançables chaque année. Pourquoi ? Non pas parce que ce sont des établissements charitables mais parce qu’ils savent qu’en les remettant le pied à l’étrier, ces étudiants réussiront leur année et redeviendront finançables après un ou deux ans. Si elle devait effectivement se réaliser, l’augmentation de 1 % d’étudiants non finançables pourrait donc être totalement absorbée par ce pourcentage structurel. Rien n’empêche les établissements de mettre ces étudiants dans leur priorité de réinscription.

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”On ne change pas les règles au milieu du jeu”

La ministre Françoise Bertieaux ne veut dont pas changer une “bonne réforme”. Et elle le fera d’autant moins qu’” on ne change pas les règles au milieu du jeu. Je ne vais pas bousiller la fin de l’année académique pour les étudiants. Cela n’a aucun sens de changer tout cela maintenant. Les établissements ont tous adapté leur programme informatique pour pouvoir encoder les résultats et préparer les délibérations dans les dispositions de la réforme. Aucun n’est capable de modifier son dispositif d’ici à la mi-mai. Il y a un risque de créer un vide juridique. Et ce risque, je ne veux pas le prendre.