Belgique

La zone de police Bruxelles-Midi veut être déchargée de la sécurité des matchs de foot, des concerts et des manifs pour s’attaquer au narcotrafic

Non. Si ces trois communes sont régulièrement évoquées dans l’actualité, c’est à cause de la multiplication des faits de violences liés au narcotrafic, sur leurs territoires ou à proximité. Les fusillades se sont en effet multipliées, faisant plusieurs blessés et même un mort.

La zone de police Bruxelles-Midi, active sur ces trois communes, n’a eu de cesse de solliciter un soutien plus conséquent de la part du fédéral pour rasséréner la population. Les effets sur le terrain sont visibles. Mais les policiers de la zone Midi n’ont pas la possibilité de s’occuper exclusivement de leurs communes pour tenter d’éradiquer ces phénomènes criminels et répondre aux doléances des riverains en la matière.

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Car entre la guerre aux deals et aux dealeurs, ces policiers sont fréquemment réquisitionnés pour… la sécurisation des matchs de foot du RSCA, de l’USG et des concerts à Forest National ou encore pour le remplacement des gardiens de prison grévistes. S’ajoutent à tout ce programme les rassemblements et les manifestations (il y a au moins un rassemblement par jour dans notre capitale) ainsi que les événements spéciaux comme les sommets européens ou les visites diplomatiques.

Si les bourgmestres de ces trois communes se disent ravis de participer à la sécurisation de Bruxelles, “trop is te veel”, s’exclament-ils. Et ils l’ont fait savoir à la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), demandant à ce que le cahier de charge de la zone de police soit allégé.

Un courrier envoyé à la ministre de l’Intérieur

Nos policiers ne peuvent plus répondre favorablement aux missions de base sur le terrain. Quand ils le font, cela se passe très bien et nous avons constaté des résultats encourageants dans certains quartiers, comme le Peterbos. Mais une fois que la présence policière faiblit parce que nos policiers sont appelés pour un match de foot, une manif, un concert ou peu importe, les organisations criminelles en profitent et réoccupent le terrain”, exposent Fabrice Cumps (PS), le bourgmestre d’Anderlecht, Mariam El Hamidine (Ecolo), la bourgmestre de Forest et Jean Spinette (PS), le bourgmestre de Saint-Gilles.

Le fédéral nous intime d’agir pour ramener plus de paix dans nos rues, ajoute le chef de corps de la zone de police Bruxelles-Midi, Jurgen de Landsheer. Nos policiers font de leur mieux, et ça marche. Mais à chaque fois qu’ils sont réquisitionnés pour ces missions supplémentaires, tout le travail de terrain – qui avait pourtant été productif – tombe à l’eau. Outre le fait que c’est frustrant pour nos policiers, c’est injuste pour nos habitants qui en paient le prix.”

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Las, bourgmestres et chef de corps ont donc adressé un courrier à la ministre de l’Intérieur – et que La Libre a pu consulter en primeur – pour lui signifier qu’ils ne souhaitent plus que leurs policiers soient sollicités pour des missions supplémentaires.

Concrètement, ils demandent à être exonérés de toutes ces tâches, pour se focaliser exclusivement sur ce qui se passe dans leurs rues et leurs quartiers. “Les fusillades se sont multipliées et les riverains ont peur d’une escalade. Nous sommes intervenus et nous constatons une certaine accalmie. Si nous voulons des résultats plus encourageants encore, nous ne pouvons plus permettre à nos forces de l’ordre de partir et revenir. Les habitants de Saint-Gilles, Anderlecht et Forest ne doivent pas être délaissés.”

Une formule à tester durant trois mois

Le souhait des bourgmestres et du chef de corps est de se concentrer sur leurs communes durant les trois prochains mois. Puis de dresser le bilan d’un tel modus operandi. Sauf que dans les prochaines semaines, les événements pour lesquels les policiers de la zone Midi sont attendus sont très nombreux.

Entre les dix matchs de football des “Champions Playoffs” (mini-championnat qui se jouera entre les six premières équipes du classement parmi lesquelles figurent l’Union Saint-Gilloise et Anderlecht, NdlR), les concerts et festivals pré-estivaux, ou encore les rassemblements liés aux élections du 9 juin, il y aura du boulot. Énormément de boulot. Et c’est justement ce qui inquiète les bourgmestres de la zone Midi et leur chef de corps.

Qui donc pourrait les suppléer pour de telles charges ? “Nous ne sommes pas seuls pour mener ces missions supplémentaires. Des policiers du fédéral sont également présents, précise Jurgen de Landsheer. Ces policiers pourraient assurer ces opérations de maintien de l’ordre encadré par un commandement de notre zone.”

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Jean Spinette poursuit : “Pour ce qui est des remplacements des gardiens de prison à Saint-Gilles et pour le renfort fourni au Palais de justice au quotidien, les agents de la DAB (la police en charge de la sécurisation d’infrastructures critiques) pourraient être sollicités. Certains estiment que l’armée doit être rappelée en renfort dans nos rues. Nous ne tenons pas ce discours. Nous disons simplement qu’il y a des forces de l’ordre aptes à reprendre ces missions qui nous ont été attribuées. Parce que, dans nos rues, en attendant, c’est la panique et nous avons les moyens de changer cela. Il faut simplement permettre à nos policiers de se concentrer sur nos missions prioritaires.”

Cette lettre envoyée à Annelies Verlinden est, rappellent nos interlocuteurs, une proposition. Pas une menace avec un ultimatum. Que feront-ils si la ministre de l’Intérieur ne répond pas favorablement à cette demande, interroge-t-on ? “Nous n’imaginons pas à un instant qu’une telle demande soit refusée. Nous n’avons pas décidé tout cela entre deux cafés. C’est une proposition réfléchie, calculée et elle est objectivement imparable”, répondent Fabrice Cumps et Jean Spinette. Mariam El Hamidine d’ajouter : “Nous n’allons pas rester les bras croisés pendant que les citoyens nous implorent d’agir pour ne pas voir leurs quartiers sombrer dans la violence. On ne peut plus attendre. Cette proposition, c’est ce qu’il y a de plus pertinent pour agir rapidement, sur le terrain”.

”Pas question de criminaliser les plus démunis”

Avant de conclure l’entretien, nous rappelons à nos interlocuteurs que le secteur associatif ne perçoit pas d’un très bon œil certaines actions qui pourraient être entreprises à l’encontre des consommateurs de stupéfiants. En effet, pour casser la dynamique de l’offre et de la demande dans le juteux marché de la drogue, les bourgmestres et la police ont expliqué que les dealeurs seront dans le viseur. Mais les consommateurs également.

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”C’est malheureux de devoir rappeler que nous n’avons jamais eu comme objectif de cibler les consommateurs qui seraient par ailleurs des personnes en situation de grande précarité ou des personnes en errance, rétorque Jean Spinette. Certains dans le milieu associatif font un amalgame en partant du principe que lorsqu’on parle de consommateur de drogue, on parle d’une personne vulnérable et qui vit dans la rue”.

Et de conclure : “Soyons clairs : non, nous n’allons jamais donner une amende à une personne en errance et en situation de pauvreté. On a manifestement tendance à oublier que parmi les consommateurs de drogue, certains viennent d’ailleurs à Bruxelles pour s’approvisionner dans nos quartiers. C’est à eux que nous pensons. Il n’est pas question de criminaliser les plus démunis.”