France

Fusillade sur l’A41 : « Le changement générationnel dans le banditisme se fait toujours de manière brutale »

L’attaque a eu lieu en pleine journée. Ancien « parrain » de la mafia italo-grenobloise, Jean-Pierre Maldera, 71 ans, a été tué mercredi, vers 10h30, alors qu’il circulait sur l’autoroute A41 entre Chambéry et Grenoble, seul au volant de sa voiture BMW.

La victime est loin d’être inconnue de la justice. Il comptait à son casier huit condamnations entre 1978 et 1999, dont l’une en 1986 à 15 ans de réclusion criminelle pour un vol à main armée. Mais depuis, Maldera n’avait (presque) plus fait parler de lui.

Faut-il en conclure, à travers cette affaire, que les figures du banditisme à l’ancienne, comme lui, sont destinées à finir soit à la morgue, soit en prison ? 20 Minutes a posé la question au journaliste Frédéric Ploquin, expert en caïds et malfaiteurs en tout genre.

Comment comprendre que cet homme, qui n’avait pas fait parler de lui depuis vingt ans, ait été victime de ce qui semble être un règlement de compte ?

Jean-Pierre Maldéra m’avait approché en 2007. A l’époque, la police judiciaire le soupçonnait d’être impliqué dans tout ce qui se passait à Grenoble, d’être lié à une vague de règlements de compte. Il voulait m’expliquer qu’il n’avait strictement rien à voir avec la drogue, que la came ce n’était pas leur truc. Il souhaitait que je le dise dans un article. Ça m’avait surpris !

Je ne sais pas quelle erreur a commis Jean-Pierre. Il a peut-être cru que son nom lui permettrait d’imposer quelque chose, lui qui est du quartier de l’Abbaye, qui est un peu le creuset du banditisme de ces époques-là. Mais ils oublient tous qu’eux-mêmes sont arrivés là où ils sont en tuant des gens. Le changement générationnel dans le grand banditisme se fait toujours de manière brutale.

Justement, son meurtre survient moins de deux mois après celui d’une autre figure historique du banditisme marseillais, André Cermolacce. Comment l’expliquer ?

Ce n’est pas étonnant. Il faut noter que l’un se passe à Marseille et l’autre à Grenoble. Pour moi, il y a toujours eu une espèce de filiation entre les deux villes. J’ai toujours considéré Grenoble comme un Marseille en miniature. Il y a eu, dans ces deux villes, une implantation du crime organisé depuis un demi-siècle maintenant.

Début février, André Cermolacce, qu’on imaginait un peu rangé des voitures comme on dit, a été tué par un homme qui circulait à trottinette. C’est le choc des générations ! On ne comprend pas trop bien pourquoi. C’était un proche de Jacky le Mat, qui est lui aussi décédé. J’ai cru comprendre qu’en réalité, André Cermolacce n’était plus directement dans le business dans lequel il était autrefois, c’est-à-dire les attaques à main armée, les choses comme ça. Mais il était resté, semble-t-il, dans un business un peu parallèle, celui de la fourniture d’alcool à certains bars des quartiers Nord.

Il a dû penser que, parce qu’il était Dédé Cermolacce, parce qu’il a un nom qui parle à tout le monde, il avait une marge de manœuvre. On croit toujours que le nom fait peur, impressionne. Mais ce que n’ont pas compris ces vieux voyous, c’est que dans la jeune génération, ils n’en ont pas grand-chose à faire que la personne en face ait un nom ronflant comme on disait autrefois. Un nom, ce n’est pas un bouclier.

Cela veut-il aussi dire que les grands bandits ne prennent jamais leur retraite ? Qu’ils finissent soit à la morgue, soit en prison ?

Jacky le Mat est mort de sa belle mort, mais il n’y en a pas beaucoup des comme ça. Il a su ne pas se mêler au business des jeunes, notamment à la drogue. Il s’est tenu à distance et est resté dans le racket.

Quand ils ne sont pas rattrapés par la prison, ils sont rattrapés par leur démon. Il suffit de voir Antonio Ferrara. Il a été libéré, pouvait vivre une vie de famille tranquille. Et boum, ça le démange, ça le rattrape et aujourd’hui il est accusé d’avoir voulu retourner au charbon. Quelque part, on a l’impression qu’ils sont un peu incorrigibles.

C’est extrêmement difficile pour eux de changer parce que la criminalité, le mode de vie, la cavale, c’est tout ce qu’ils savent faire, c’est leur vie. C’est très difficile de passer de cette vie-là à celle de commerçants ordinaire et rangée. Tout d’un coup il faut déclarer ses impôts, il faut payer sa patente… C’est extrêmement compliqué.

Vous publiez, le 26 mars prochain*, un livre consacré à Jean-Louis Rizza, une autre figure du grand banditisme qui est, lui, passé entre les gouttes…

C’est un gars qui n’a jamais parlé, qui s’est jamais exprimé, qui ne s’est jamais montré. Il a formé un groupe de sept ou huit hommes. Quasiment tous des pieds noirs, comme lui, des parachutistes, des anciens militaires. Et ils ne se sont jamais fait prendre. Il a eu une vie d’aventurier complètement dingue ! Il a rendu des services aux services secrets français, au SAC [service d’action civique] dont son père, qui était un ancien de l’OAS [Organisation de l’armée secrète], était devenu un relais. Il a rendu des services à Charles Pasqua directement. Ensuite il est parti aux Antilles françaises et il s’est lancé dans la cocaïne. Il a travaillé pour le cartel de Medellín de Pablo Escobar. Et il n’est quasiment jamais tombé, sauf une fois pour une connerie quoi. Il a perdu beaucoup d’amis et sa survie passait par le fait de parler.

* « Braqueur, mercenaire, aventurier, de l’OAS au grand banditisme », de Jean-Louis Rizza avec Frédéric Ploquin, sorti le 26 mars 2025, éditions du Nouveau Monde, 288 pages, 20,90 euros.