Tunisie: Parlement improductif et députés peu créatifs – Actualités Tunisie Focus
En un an, les députés n’ont adopté que 34 textes de loi, tous émanant de l’exécutif, et leur unique tentative d’affirmer l’indépendance du pouvoir législatif a tourné court. Aucune initiative …
Une caisse de résonance?
Il y a un an, lors de l’instauration de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP) en Tunisie, l’opposition avait fait part de ses inquiétudes : au lieu d’un contre-pouvoir, cet organe législatif avait tout l’air d’une chambre d’enregistrement à la solde du président Kaïs Saïed.
Un premier bilan lui donne raison, alors que les députés se sont illustrés par leur absence de poids face à un exécutif tout-puissant.
Le pouvoir législatif, considérablement affaibli par rapport aux mandatures précédentes, présente peu de marge de manœuvre et apparaît soumis en grande partie au président et au gouvernement.
Réunis pour la première fois en séance plénière le 13 mars 2023, les députés ont été élus à l’issue d’un scrutin à deux tours qui avait été massivement boycotté par l’opposition.
Des textes qui favorisent l’abstention
Ces élections ont enregistré un taux de participation historiquement bas, à peine au-dessus de 11 %. Les représentants du peuple sont les premiers à siéger conformément à la nouvelle Constitution, adoptée un an plus tôt.
Le texte limite leur pouvoir et augmente celui du président de la République. Il prévoit que le chef de l’Etat peut dissoudre l’ARP et lui octroie le droit de gouverner par décret et de s’arroger les pleins pouvoirs sans limite dans le temps.
Dans ce cadre limité, peu de travail a été effectué en amont par les députés. Sur une centaine de textes de loi déposés, seuls 34 ont été adoptés, tous émanant de l’exécutif.
Parmi ces projets, une grande partie concerne la validation formelle d’accords de prêts ou de conventions déjà conclus par l’exécutif.
De la stabilité avant tout
« Cela montre bien que cette institution est devenue une chambre d’enregistrement des lois voulues et décidées par le président », commente Amine Kharrat, analyste politique au sein de l’organisation Al Bawsala, chargée de surveiller les travaux du Parlement lors de la législature précédente, mais ayant choisi de « boycotter » la nouvelle institution en raison de son « désaccord avec le processus politique en cours et de la manière dont le Parlement a été élu ».
« On a fait beaucoup de choses, adopté plusieurs projets de loi », se défend la députée Fatma Mseddi, élue en 2014 sous la bannière de Nida Tounes, le parti de l’ancien président Béji Caïd Essebsi, qu’elle a quitté pour soutenir Kaïs Saïed depuis son coup de force de juillet 2021. Si elle évoque aussi les propositions de loi émanant des députés, aucune, pour l’heure, n’a été adoptée.
Un fonctionnement opaque
Pour Amine Kharrat, il existe « un alignement presque parfait » entre les députés et le président. « Il y a rarement d’opposition contre l’exécutif, et lorsqu’il y en a, c’est toujours dirigé vers des ministres, pas vers le chef de l’Etat », estime-t-il. « Dans l’ancien Parlement, chacun portait une idéologie : les islamistes, les destouriens, les nationalistes, les sociaux-démocrates. Aujourd’hui, il n’y a plus rien de cela », regrette Majdi Karbai, ancien député de centre gauche, dont le mandat a été suspendu par le chef de l’Etat en juillet 2021.
A ce jour, la seule tentative d’affranchissement du Parlement vis-à-vis de l’exécutif concerne une proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation des relations avec Israël. Alors que le texte a commencé à être examiné par les députés en séance plénière début novembre 2023, le chef de l’Etat a déclaré son opposition à son adoption, malgré le soutien de la majorité parlementaire. L’examen du texte a été suspendu. A la suite de cette prise de parole, le président de l’ARP, Brahim Bouderbala, s’est également rétracté.
Une fois n’est pas coutume, plusieurs élus qui soutiennent pourtant le processus entamé par le chef de l’Etat ont exprimé leur désaccord avec le président et accusé M. Bouderbala d’avoir cédé aux pressions. Remis à l’ordre du jour fin février, l’examen de la proposition a une nouvelle fois été reporté. Désavoué par l’exécutif dans sa première tentative réelle d’exercer son pouvoir législatif, le Parlement sort encore plus affaibli de cette séquence.
Ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, le président de l’ARP est un soutien indéfectible de Kaïs Saïed depuis que ce dernier s’est arrogé les pleins pouvoirs. Il a radicalement opacifié le fonctionnement de l’instance législative, limitant l’accès au Parlement, notamment au sein des commissions parlementaires, qui se déroulent toujours à huis clos. « C’est un Parlement qui fonctionne sans contrôle.�Auparavant, des organisations de la société civile faisaient des rapports sur la présence des députés et leurs votes. C’est fini aujourd’hui », déplore Majdi Karbai.
Nissim Gasteli et Monia Ben Hamadi, titrage Economics for Tunisia, E4T