Un «CERN» de l’intelligence artificielle – une bonne idée?
Lors du sommet sur l’intelligence artificielle qui s’est tenu à Paris en février 2025, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a relancé l’idée d’un centre européen pour l’IA sur le modèle du CERN.
Keystone / Mohammed Badra
On en discute en Europe, mais pour Maria Grazia Giuffreda, directrice associée du Centre Suisse de Calcul Scientifique, le nationalisme et la bureaucratie pèsent sur le projet de centre européen dédié à l’intelligence artificielle. La Suisse montre cependant la voie.
En plus d’être une question de technologie et d’économie, l’intelligence artificielle est aussi une affaire de géopolitique. Depuis son essor ces deux dernières années, les discussions autour de ChatGPT, Google, Deepseek et autres géants du secteur ont peuplé les premières pages des journaux – ou plutôt les pages d’accueil des sites d’information, pour rester dans le thème de l’informatique.
Retard à rattraper
L’enjeu est de taille, mais l’Europe n’a pas grand-chose à mettre sur la table pour l’instant par rapport aux États-Unis et à la Chine. Afin d’éviter de dépendre de technologies étrangères douteuses ou même de perdre le rythme dans la course aux technologies de l’information, le Vieux Continent tente désormais de rattraper son retard et de construire lentement une autarcie numérique partielle par le biais d’interventions publiques majeures.
Alors que l’Union européenne, peut-être avec la participation de la Suisse, tente de construire un centre européen d’intelligence artificielle sur le modèle du CERN en y consacrant deux cents milliards d’euros, la Suisse a déjà pris des mesures.
En octobre 2024, les écoles polytechniques fédérales de Zurich (EPFZ) et de Lausanne (EPFL) ont uni leurs forces pour former l’Institut national suisse d’intelligence artificielle (SNAI) avec l’objectif ambitieux de construire un grand modèle linguistique (LLM) public, transparent, libre et équitable. Grâce au Centre suisse de calcul scientifiqueLien externe (CSCS) à Lugano, qui fait partie de l’EPFZ, le SNAI implique également la Suisse italienne.
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Le projet donne un souffle nouveau à l’initiative suisse sur l’intelligence artificielle lancée fin 2023 en réponse à la domination incontestée de quelques acteurs dans le domaine de l’intelligence artificielle générative. En effet, les logiciels de production de texte écrit, de langage parlé ou d’images sont relativement peu nombreux dans le paysage informatique mondial et, surtout, suscitent le scepticisme des spécialistes, non pas en raison de leurs performances, tout à fait étonnantes, mais du manque de confiance qu’ils inspirent.
Rassembler les esprits
«Le problème que nous constatons tous est le manque de transparence, le fait de ne pas savoir d’où viennent les données que ces grands chatbots (comme ChatGPT, NDLR) utilisent pour entraîner ces modèles», explique Maria Grazia Giuffreda, directrice associée du CSCS.
Les principes qui sous-tendent le SNAI ne sont pas très éloignés de ceux du projet européen de «CERN de l’intelligence artificielle» annoncé par Ursula von der Leyen le 10 février 2025. Cette initiative suisse en matière d’intelligence artificielle n’a fait que rassembler les esprits les plus engagés et les meilleurs de Suisse pour essayer de développer une intelligence artificielle qui représente les valeurs de la Suisse et de notre société et qui développe donc des modèles qui les reflètent. L’autre aspect important est d’impliquer également le côté industriel, afin que nous puissions développer quelque chose qui ait vraiment un impact sur notre société», commente Maria Grazia Giuffreda.
La recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle nécessite non seulement des scientifiques bien formés, mais aussi des ressources de calcul appropriées. Ainsi, dans une course qui semble se jouer entre les États-Unis et la Chine, l’Europe ne peut rattraper son retard que si ses pays membres unissent leurs forces «tant au niveau des talents que de la création des infrastructures nécessaires», souligne la directrice associée du CSCS.
La désunion ne fait pas la force
Or, l’Europe peine aujourd’hui à se dire réellement cohérente et unie, notamment face aux succès des partis anti-européens dans plusieurs pays, risquant ainsi de devenir un obstacle à sa propre réussite. «Selon moi, le problème de l’Europe reste que nous sommes tous un peu nationalistes. Chaque pays essaie de maintenir ses propres intérêts au-dessus du bien commun européen», commente Maria Grazia Giuffreda.
En outre, l’Europe a été la seule région à adopter des lois importantes telles que l’AI Act, qui, bien qu’elle représente une protection pionnière des droits de l’homme dans le domaine de l’intelligence artificielle, risque, avec les nombreuses autres règles et réglementations européennes, de ralentir le développement local et de créer un isolement technologique.
La Confédération, qui a toujours été peu habituée aux ingérences étrangères, pourrait poursuivre sur une voie parallèle. «Je suis absolument convaincue, que cela plaise ou non, que la Suisse doit être indépendante et qu’il est important de maintenir notre propre infrastructure pour continuer à développer des talents et être un des moteurs de l’innovation, car dans le domaine du calcul de haute puissance, nous avons toujours été un moteur», affirme Maria Grazia Giuffreda.
Et de poursuivre, «Mais il est vrai que si nous voulons être compétitifs face à la Chine et aux États-Unis, l’Europe doit être plus unie. C’est en effet une question de géopolitique, de technologie et d’économie, mais aussi, et peut-être surtout, de culture.
Texte traduit de l’italien à l’aide de DeepL/op